Par le Père Marc Leroi
Chaque jour, la contrefaçon de la joie nous inflige ses sourires surjoués, ses rêves standardisés et son bonheur au kilo. Triste joie qui a besoin de s’afficher parce qu’elle ne rayonne pas naturellement ! Tandis que nous passons notre chemin, détournant le regard, nous disons avec le poète : « Vous ne recevrez pas un cri d’amour de moi. » Car nous savons que la joie authentique est un don gratuit et que sa valeur est inestimable. Forte mais non pesante, elle ne nous submerge pas à chaque instant. S’il n’y avait que la réalité prosaïque de notre existence, nous chanterions même, nous aussi « La joie ?… la joie ?… On n’en a pas tous les jours ! »
Pourtant, la joie d’être aimé de Dieu et de répondre à son amour structure et anime de l’intérieur notre vie spirituelle. Et personne ne pourra jamais nous l’enlever. Les martyrs en témoignent. La Parole de Dieu elle-même l’exprime : « Ni la mort, ni la vie, (…) ni aucune autre créature ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu dans le Christ Jésus Notre-Seigneur » (Rm 8, 38-39).
Au cœur de notre vie, Jésus-Christ intimement présent nous communique sa propre joie. Lors du retour des soixante-douze, il exulte sous l’action de l’Esprit Saint : « Je te bénis, Père, Seigneur du ciel et de la terre » (Lc 10, 21). Lorsqu’il entend la profession de foi du centurion, il s’émerveille : « En Israël même, je n’ai pas trouvé une si grande foi » (Mt 8, 10). En faisant revenir Lazare à la vie, avec quelle joie retenue il dit : « Père, je sais que tu m’exauces toujours » (Jn 11, 42). En mourant sur la croix, au-delà de ses indicibles souffrances, il connaît la joie d’avoir parfaitement réalisé la Rédemption de l’homme déchu : « C’est accompli » (Jn 19, 30).
Un regard extérieur non-averti ne voit là rien qui l’attire. Or nous désirons partager cette joie. Mais elle est si mystérieuse et délicate que nous risquons de la dévaluer si nous l’invoquons de façon maladroite ou systématique. Car c’est à la profondeur de sa joie cachée que le Christ nous appelle : « Père, (…) que [ceux que tu m’as donnés] aient en eux la plénitude de ma joie » (Jn 17, 13). Cette joie du Christ en nous est celle de l’union à Dieu, finalité de notre vie. C’est la joie de l’obéissance heureuse à la volonté du Père, enseignée par le Fils et vécue librement dans l’Esprit Saint. C’est la joie de l’espérance confiante qui va voir se réaliser les promesses de Dieu.
À l’approche de Noël, notre joie se concentre sur l’espace modeste d’une ombre légère au centre de la crèche : cette mangeoire que désigne le regard des personnages déjà présents. Elle ne contient rien pour l’instant. Pourtant, elle nourrit et comble leur attente. Car sous l’apparence du vide se révèlent un manque qui va prendre fin et la présence en creux de Celui qui vient. Joie silencieuse de la Vierge Marie, Mère élue et exaucée. Discrète et lumineuse joie : celle de l’union, de l’obéissance et de l’espérance !