Par le Père Guillaume Leclerc
Connaissez-vous le “tripalium” ? C’était un instrument de torture disposé sur trois pieux, que les Romains utilisaient pour supplicier les esclaves rebelles. La pratique a fort heureusement disparu, mais le terme est resté : il a donné notre mot “travail”.
Le travail, ainsi donc, a une lointaine parenté avec la torture… Sans aller toujours jusque là, il est souvent pénible, il est parfois absurde. Est-ce la répercussion d’une obscure malédiction ? La Genèse semble s’en faire l’écho, lorsque Dieu s’adresse à Adam après la Chute : « Maudit soit le sol à cause de toi ! C’est dans la peine que tu en tireras ta nourriture, tous les jours de ta vie. De lui-même, il te donnera épines et chardons, mais tu auras ta nourriture en cultivant les champs. C’est à la sueur de ton visage que tu gagneras ton pain, jusqu’à ce que tu retournes à la terre dont tu proviens ; car tu es poussière, et à la poussière tu retourneras. » (Gn 3,17-19)
A y regarder de plus près, pourtant, la malédiction ici n’est pas liée au travail. Le monde que nous foulons, notre situation concrète, en un mot notre sol, donne une certaine prise au mal : qui dira le contraire ? Mais en se mettant à l’ouvrage, il est possible de tirer de ce sol ingrat quelque chose de vital – notre nourriture matérielle mais aussi spirituelle, le pain de ce jour. Le travail va permettre de tirer ce qui est précieux de ce qui est vil : il y a là le début d’une bonne nouvelle, un premier aperçu de l’Evangile.
Qui ne voit, d’ailleurs, que la privation totale de travail est aussi une malédiction ? C’est vrai, certaines tâches peuvent vous détruire ou vous durcir terriblement. Mais la paresse, l’apathie, le chômage, peuvent vous liquider tout aussi sûrement. Entre celui qui est corseté par son travail servile et celui qui est liquéfié par l’inaction, il s’agit de devenir un homme ou une femme équilibré, vertébré, musclé – ni crustacé, ni mollusque. Il s’agit surtout de trouver à travers le travail, ses joies et ses peines, une voie pour être sanctifié, pour rayonner comme Dieu rayonne, par une fécondité cachée.
Nous qui transpirons si souvent à la tâche, nous avons besoin d’un modèle de générosité pour entrer dans la gratuité de l’effort, dans la mission accomplie pour plaire à Dieu plutôt qu’aux hommes. Nous avons besoin d’un guide qui nous apprenne à rêver, et qui nous aide à nous réveiller pour transformer nos rêves en réalité. Nous avons besoin d’un protecteur solide pour évaluer ce qui reste à faire, élever notre ouvrage jour après jour, et le relever dans l’adversité. Pour la Vierge Marie et pour l’Enfant Jésus, saint Joseph a été ce modèle, ce guide et ce protecteur. Il peut l’être aussi pour nous.