Par Père Guillaume Leclerc
« Jésus, ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, les aima jusqu’au bout » (Jn 13,1). Face à sa fin, le Christ ne s’est pas dérobé. Il est vrai qu’il a ressenti l’angoisse à Gethsémani. Mais quelle était donc cette angoisse ? Peut-être pas tant de voir la mort, que de voir les hommes refuser la vie. Voilà qui peut nous parler, alors que se creuse le débat sur l’euthanasie.
Nous n’avons pas forcément tous la même peur de mourir. Mais la peur de souffrir est assez largement partagée. Plus encore peut-être, nous avons peur pour nos proches : peur de les voir souffrir, peur de les voir mourir cruellement.
Que répondre, alors, à un malade, quand il demande qu’on l’aide à partir ? Ceux qui sont engagés dans les soins palliatifs le disent : derrière l’appel à être délivré, il y a un appel à être aimé. Quand les personnes en fin de vie sont soulagées (ce qui est aujourd’hui médicalement possible), vraiment écoutées, accompagnées, elles ne demandent plus à être euthanasiées.
On peut, bien sûr, présenter le problème autrement. On peut jouer sur l’émotion, les bons sentiments, les cas exceptionnels et très exceptionnels, qui justifieraient une loi « de liberté » ouverte à tous les cas de figure. On peut lisser le langage, masquer la réalité qui consiste à tuer, invoquer hypocritement la « dignité » de ceux dont on se débarrasse, affecter d’oublier les énormes enjeux financiers. On peut, enfin, promettre que le problème sera traité de manière technique, contrôlé par des spécialistes, avec des procédures éthiques imparables – hélas, tous les exemples étrangers montrent le contraire.
Le débat sur l’euthanasie nous demande d’aller plus loin que notre peur très humaine de la souffrance et de la mort. Il pose la question de la société que nous fabriquons. Comment des frères et sœurs se parleront-ils encore, s’ils se sont déchirés pour ou contre la mort de leur mère ? Qui montrera qu’il est immoral de tuer son voisin ou son collègue, s’il est légal de supprimer son propre père ? Qui empêchera des hôpitaux, des maisons de santé, des familles de rechercher de la sorte des économies substantielles, toujours au nom du « respect » ? La tentation est déjà très forte…
« On achève bien les chevaux », dit-on. Mais les hommes ne sont pas de simples chevaux. Nous sommes des personnes, faites pour recevoir et donner, pour pardonner, pour nous abandonner jusqu’au bout. Pour tous, à tout prix, doit être garantie la liberté d’aimer jusqu’au bout, d’être aimé jusqu’au bout.