Par le Père Guillaume Leclerc
Est-ce à cause de nos limites ? Souvent, nous aimerions que les saints soient ordinaires comme nous. Est-ce le cœur qui nous appelle à plus ? Parfois, nous aimerions être extraordinaires comme ils le sont. Charles de Foucauld, que le Pape François canonise ce dimanche 15 mai, a lui aussi navigué toute sa vie entre l’ordinaire et l’extraordinaire.
Orphelin à 5 ans, il est élevé par son grand-père. Les principes et la fortune de sa famille ne l’empêchent pas de couler peu à peu dans la médiocrité. Médiocrité spirituelle d’abord, qu’il décrira plus tard : « Je demeurai douze ans sans nier et sans rien croire, désespérant de la vérité, ne croyant même pas en Dieu. Aucune preuve ne me paraissait évidente ». Médiocrité des habitudes ensuite : élève à Saint-Cyr, puis officier de cavalerie, il dissipe son énergie et son argent en soirées et en passades sans lendemains ; vivant pour son ventre, stockant du foie gras sous son lit pour toute heure du jour et de la nuit, il devient obèse. Médiocrité relationnelle enfin, qu’il résumera ainsi : « J’étais tout égoïsme, toute impiété, tout désir de mal, j’étais comme affolé ». Négligent, insolent, il finit renvoyé de l’armée.
Dieu va utiliser ses dernières étincelles de conscience pour rallumer les cendres. Charles apprend que ses camarades se battent au Maghreb, il ne veut pas les laisser face au danger. Il obtient sa réintégration, clarifie sa vie, devient un chef modèle. Les voyages l’attirent. Il quitte à nouveau l’armée pour parcourir un an le Maroc en secret, déguisé en rabbin. Cette exploration lui vaut la reconnaissance académique. Elle change aussi son regard sur la religion : le sens de Dieu des musulmans l’a ébranlé. Il répète : « Mon Dieu, si vous existez, faites que je vous connaisse ! » A Paris, il admire l’intelligence et la foi de sa cousine Marie de Bondy. Elle l’envoie vers l’abbé Huvelin, à la paroisse Saint-Augustin. Alors que Charles vient pour argumenter, le prêtre lui dit de se mettre au clair : « Mettez-vous à genoux, confessez-vous à Dieu : vous croirez. » C’est le 30 octobre 1886, la lumière entre dans son âme : « Aussitôt que je crus qu’il y avait un Dieu, je compris que je ne pouvais faire autrement que de ne vivre que pour Lui. »
Brûlant de la foi des convertis, Charles est travaillé par les mots de l’abbé Huvelin. « Jésus a tellement pris la dernière place que jamais personne n’a pu la lui ravir. » Il entre chez les moines trappistes en Ardèche, puis en Syrie. Comme ce n’est pas assez ascétique pour lui (!), il se fait dispenser de ses vœux et s’installe incognito en jardinier chez les clarisses de Nazareth, dans une cabane au fond de l’enclos. Sa réputation grandit, on le reconnaît, il part. Il sent grandir le désir de devenir prêtre : il est finalement ordonné à Viviers en 1901. Il devient ermite en Algérie, dans le Sahara, puis dans le Hoggar. Sa grande soif est d’annoncer le Christ, mais en pratique il ne baptise personne. Il célèbre la messe seul, nourrissant sa vie intérieure de la communion et de l’adoration. L’amitié de certains chefs musulmans le rend très sensible à la fraternité universelle. Mais le début de la Première Guerre mondiale attise les tensions. Le 1er décembre 1916, des pillards touaregs le tuent, peut-être par haine, peut-être plutôt par précipitation. Sa tombe est toujours à Tamanrasset.
Pourquoi prier Charles de Foucauld ? A la fois enfant blessé et enfant gâté, gros pécheur et grand converti, il nous rappelle que rien n’est jamais perdu. Sa quête de Dieu nous parle aussi. Elle s’est faite par étapes (moine, jardinier, prêtre, ermite), il a cherché sa place et l’a trouvée comme à tâtons dans l’obscurité.
Dieu nous prend là où nous en sommes, pour nous donner de nous dépasser.