Par le Père François Marxer
La Semaine sainte commençait, nous étions en 1971. Ce jour des Rameaux, je revenais de Paris et du monde des études, mais ce n’était pas la préparation des prochaines liturgies qui me préoccupait. Deux ou trois jours auparavant, ma grand-mère Maria s’était effondrée, terrassée par un infarctus qui hélas ! ne fut pas diagnostiqué correctement. A présent elle était au service des soins intensifs de l’hôpital de Nancy, et cet après-midi-là, nous avions reçu l’autorisation de l’aller visiter, oh ! mais chacun de façon brève, juste les regards qui s’échangent, le murmure de quelques mots, la sonorité de la voix, tandis que vibrionnaient autour de son lit cadrans et bips incessants qui dessinaient, impassibles, le possible destin. Je suis entré à mon tour, j’avais une bonne
nouvelle : « Mémé, je suis appelé aux ordres » (en clair, l’Eglise me recevait pour devenir prêtre).
La réponse dans la sérénité d’un sourire, fut brève : « Mon François, alors maintenant je peux partir ».
Elle a tenu parole, elle est morte à l’aube du Jeudi saint, et c’est moi qui aurai été à la maison l’ange de cet étrange évangile : « Ça y est, Mémé est entrée dans la vie. » Comment se lamenter dès lors ? Juste quelques larmes (quasi baptismales) que nous n’allions pas refreiner. Les obsèques furent célébrées le Samedi saint dans cet office d’absolu dépouillement, nous étions au bord de la tombe de Lazare, et nous n’étions pas seuls à pleurer, Jésus aussi pleurait. Pâque fut difficile, nos volontés toutes en tension malgré tout, la foi nous oblige. Mais le lundi, toute la paroisse de Varangéville où mon oncle était curé depuis maintes années, s’est retrouvée pour célébrer cette résurrection en espérance. J’avais choisi les lectures ; le portrait de la femme parfaite en Proverbes (31, 10-31) et la rencontre au petit matin du Ressuscité et de Maria de Magdala : « Jésus lui dit alors : “ Marie ! ” S’étant retournée, elle lui dit : “ Maître ” ».
Pour moi, la fête de Pâques est nimbée à jamais de ces circonstances (déjà, deux ans auparavant, mon père était mort brutalement au soir du jeudi de Pâques). Pâque inconcevable, qui ferait fi du drame qui se noue dès l’entrée des Rameaux, qui éviterait l’offrande impensable et la déchirure du Vendredi saint et ce samedi de longue absence et de lourd silence que nous respectons si peu.
Nous surenchérissons la joie de Pâques. La joie pascale est toute de gravité, stupéfaite – comme ont dû l’éprouver les deux disciples (Cléophas et… sa femme, pourquoi pas ?) sur le route d’Emmaüs. Joie de la reconnaissance. Une joie discrète qui n’efface en rien ni ne diminue l’effroi de la nuit. Une joie apaisée (or nous, nous la voulons débordante, épatante, non sans artifice parfois, et elle fait mal alors à ceux dont le cœur saigne ; c’est la noblesse de la vraie joie que de prendre soin de chacun).
A l’heure présente, ils sont tous partis et j’attends. A leur manière, ils viennent peupler mes songes au jour le jour, avant qu’un jour nous nous retrouvions. Un jour.