Que votre cœur ne soit pas bouleversé
par le Père Jean-Claude Khonde Mutu
Les dernières paroles prononcées en fin de vie ont un caractère particulier. Elles résument le mystère d’un être. Ces paroles peuvent être pragmatiques. Platon fait parler son maître Socrate de l’immortalité avant de boire la ciguë, et ce condamné à mort console ses disciples avant de mourir. Dans la fable « Le laboureur et ses enfants » de Jean de la Fontaine, le riche laboureur révèle à ses enfants, avant sa mort, que le travail est un trésor. Catherine Elisabeth, la mère de Goethe, ordonne de ne pas mettre trop de raisins secs dans le gâteau à préparer le jour de son enterrement. Certaines gens exhortent leurs enfants à se soutenir mutuellement ou, enfin, les Patriarches de la Bible meurent en bénissant leur progéniture. Ainsi en est-il aussi de l’Évangile de ce cinquième dimanche de Pâques. C’est une question de dernières paroles. Jésus dit qu’il sait qu’il va bientôt mourir. Mais les Apôtres qui l’entendent sont convaincus que ce mort présumé est toujours vivant. Ne lisons pas ses paroles comme un discours bien construit et cohérent. Imaginons des pauses. Prenons ses paroles comme celles prononcées dans un profond silence devant des prisonniers qui sont tout yeux tout oreilles. Chaque auditeur doit être absolument silencieux pour laisser pénétrer les mots de chaque parole. S’il les écoute vraiment, il entendra des mots de consolation : « Que votre cœur ne soit pas bouleversé ». Des mots d’espoir : « Dans la maison de mon Père, il y a beaucoup de demeures ». Des mots de majesté : « Je suis le Chemin, la Vérité et la Vie ; personne ne va vers le Père sans passer par moi ». Des mots de vocation exigeante : « celui qui croit en moi fera les œuvres que je fais. » Toutes ces paroles marquent notre vie. Elles étonnent par leur force, leur calme, l’abandon serein entre les mains du Père connu et aimé. C’est Jésus qui nous rassure. Ce devrait être l’inverse, surtout en ce moment d’angoisse pour Lui. Mais Jésus est comme ça. Il pense d’abord aux autres. Ici, il pense d’abord à nous. Il nous dit de ne pas avoir peur : « Que votre cœur ne soit pas bouleversé ». Il utilise le verbe qui indique la peur des Apôtres dans l’épisode de la tempête apaisée. Comme qui dirait, nous sommes toujours un peu au milieu de la mer agitée, même à l’approche du début du déconfinement patiemment attendu. Peur des incertitudes nées de la crise sanitaire du Covid-19 et de nos vicissitudes personnelles. Peur des menaces invisibles du virus qui pèseront longtemps sur nous, après le confinement. Peur de la façon dont les enjeux arrogants et fous de ce virus ravageur menacent tant notre santé que nos vies. Il n’est pas facile pour nous de comprendre immédiatement les paroles de Jésus. Les disciples qui interrompent intempestivement son discours posent des questions perdues. Ils n’ont pas encore compris alors qu’il est déjà temps de faire leurs adieux. Et nous, chers frères et sœurs, le saurons-nous mieux ? Entrons dans le déconfinement avec une joie et un élan conquérants, convaincus de nous serrer la main et de nous embrasser encore un jour sans masques, ni gants ni distanciation sociale.