Une parole qui bouleverse l’avenir tout tracé – Matthieu 4, 12-23
Par le Père François Marxer
Dimanche dernier, Jean le Baptiste nous avait avoué sa surprise et nous avait parlé de Celui qui vient, ce Messie qui vient, et que lui, Jean, ne connaissait pas : « C’est de lui que j’ai dit : L’homme qui vient derrière moi est passé devant moi, car avant moi il était ». Autant dire que lui, c’est de manière bien curieuse qu’il est entré dans la vie, puisqu’avant même que je naisse, il était déjà là ; et je découvrirai au fil des ans et de mes âges, qu’après que je mourrai, lui sera toujours là. C’est étonnant, sa manière d’entrer dans la vie, d’entrer dans le temps. Nous, nous entrons dans la vie en ligne droite ; lui aussi, me direz-vous, mais de façon différente. C’est pour cela que l’évangéliste Jean lui a donné son nom propre : le Logos, ce qu’on traduit par le Verbe, autrement dit la Parole. Étonnante est la Parole, singulière est la Parole…
Or, je n’ai pas besoin de vous l’apprendre, nous ne le savons que trop et d’expérience, nous entrons dans la vie en ligne droite. Autre façon de dire, peut-être plus désagréable : dès que nous venons au monde, tout est programmé, ou du moins en grande partie, car quand même, nous avons une petite marge de manœuvre, un choix nous reste possible, mais le bouquet des possibles est quand même restreint ! D’autant plus que désormais, nous sommes assujettis à la tyrannie des algorithmes. Plus besoin d’une diseuse de bonne aventure ou de Madame Soleil pour envisager le futur : nous sommes toisés par le monde tel qu’il va, dès que nous y entrons, et la projection est rapidement établie. Et si nous avions quelque hésitation ou étions en proie à l’incertitude, qu’à cela ne tienne, il suffira de se fier docilement aux prévisions. Seulement voilà, il arrive parfois que survienne l’Imprévisible (car la Parole vient dans le monde…)
Tenez, c’est justement ce qui arrive à ces quatre pêcheurs dont nous allons faire la connaissance : leur présent est bien cadré, et leur futur bien organisé et balisé ; il leur suffit d’emboîter le pas à ce qui fut la vie de leurs pères et de leurs grands pères et de leurs aïeux : ils seront des marins-pêcheurs. On peut se livrer à une prévision raisonnable : ils gagneront honnêtement leur vie assureront celle de leur foyer et feront fructifier l’héritage qu’ils auront reçu !
La société validera sans peine de si bonnes intentions, puisqu’ils assureront la continuité des jours en ayant le sentiment du travail bien fait et d’une vie bien remplie. C’est un peu unilatéral, mais disons qu’ils regardent dans la vie droit devant eux, sans trop se poser de questions : leur univers est bien cartographié, ils n’ont pas le temps – ni même le goût – de regarder à droite et à gauche, leur champ de vision est plein d’angles morts… Comment pourrait-il s’élargir ? Ça ne semble guère possible…
Sauf que voilà quelqu’un qui les appelle. Ils se retournent, eh ! ils ne le connaissent pas, celui-là qui les interpelle de la rive : « Venez à ma suite, et je vous ferai pêcheurs d’hommes ». C’est net, c’est sobre, sans fioriture ; mais quand même un peu énigmatique : pêcheurs d’hommes, qu’est-ce qu’il veut dire ? Pêcheurs, on sait ce que c’est, c’est notre métier, on a les compétences et la méthode mais pour les poissons ; alors, pêcheurs d’hommes, comment on s’y prend, et pour quel résultat, ça, ça nous dépasse…
C’était imprévu, ce pas de côté, et voilà de l’imprévisible qui s’infiltre dans nos vies si bien réglées. Parce que cet homme nous a regardés et nos regards se sont croisés ; et il parle, et cette parole est drue, injustifiée, inexplicable au fond, mais elle parle à hauteur d’homme, nous n’avons pas négocié, ni interrogé, ni parlementé ;….. …..nous n’avons pas demandé d’explication : « Aussitôt, laissant nos filets, nous l’avons suivi ». Aussitôt, sur le champ, sans barguigner, c’est à croire que nous n’attendions que ça !
Parce que ces quelques mots qu’il nous a dits, avaient la saveur d’une promesse : « Je vous ferai pêcheurs d’hommes », il allait nous transformer, nous ne serions plus tout à fait les mêmes qu’avant. Mais on s’est quand même demandé sans trop se le dire : pourquoi il nous avait choisis, nous, les deux frères, Simon et André, et puis aussi les deux autres, Jacques et Jean, les gars de Zébédée ? Il n’est pas du pays, oh ! je sais, il s’est établi depuis quelque temps à Capharnaüm, c’est chez nous (« cheu nous « ) et ce sera, on le verra, où il installera son état-major. Mais ce n’est pas un marin, c’est un terrien, il est du plateau, de Nazareth. Alors, quand on comprendra, plus tard, qu’il veut bâtir son Église… eh ! il avait tout ce qu’il faut sous la main chez lui, des architectes, des maçons, des artisans ; alors, pourquoi nous a-t-il choisis, nous, des marins-pêcheurs ?
Eh bien, les gars, il a bien choisi : parce que, les pêcheurs, à s’aventurer ainsi sur la mer, sur ces profondeurs inquiétantes et hostiles des fonds marins, ce sont des gaillards qui n’ont pas froid aux yeux. Ils ont du courage. Et de la persévérance : car ça nous arrivera de passer une nuit entière à nous échiner, à nous obstiner, sans rien prendre ; et puis, lui nous dira au petit matin : allez, jetez le filet à droite, et vous ne saurez pas quoi faire avec tous ces poissons qui se sont pris dans vos filets !
C’est ça, il avait besoin de gars courageux, et il en fallait, du courage, et même de l’audace par-dessus le marché, pour pêcher les hommes, menu fretin et gros poissons, et surtout pour les repêcher quand ils sont en train de couler à pic !
Puissance de sa parole, de ces quelques mots dont il nous a appelés : nous étions pris dans les filets de nos destins réglés d’avance, et sa parole a déchiré ce carcan, et nous voyons à présent l’horizon autre de notre destinée. Alors, nous laissons les filets et les barques et notre vie d’avant : nous plongeons dans une vie nouvelle – baptême ! – et nous allons le suivre, nous mettre à son école ; nous allons voir ce qu’il fait, entendre ce qu’il dit, nous verrons parce que nous avons entendu et nous allons vivre comme il vit – c’est cela, être baptisé ***
*** à 11 heures, le baptême du petit Georges, né le 29 septembre dernier, est célébré au cours de l’Eucharistie paroissiale.
Rueil-Malmaison, Saint-Pierre/Saint-Paul
26 janvier 2020, 3ème dimanche du temps ordinaire (année A)