La Nuit pascale – Marc 16,1-7 – le tombeau vide
par le Père François Marxer
Il n’y a pas seulement le chagrin, l’immense chagrin d’avoir perdu le Bien-Aimé de leur cœur, de leur âme, il y a, en ce frais matin de Palestine, il y a du souci, de l’inquiétude. Elles se demandent : « Qui nous roulera la pierre pour dégager l’entrée du tombeau ? » Cette lourde pierre, ce bloc minéral, la figure même de l’immuabilité de la mort. Elles ont vu Joseph d’Arimathie et aussi Nicodème, nous dit saint Jean(1), rouler la pierre – signature définitive, mais ils s’y sont mis à plusieurs, et c’étaient des hommes, ils ont les forces pour, et puis, ils ont l’habitude.
Pour les femmes, c’est autre chose, leur habileté est ailleurs : nourrir, allaiter, langer – comme Marie dans la nuit de Bethléem –, soigner, consoler, réconforter, ça, elles savent, elles ont le savoir-faire et le savoir-dire, tout spécialement pour les tout-petits, les bébés ; mais aussi les agonisants et les morts auxquels elles donnent les soins ultimes, funéraires, de l’embaumement.
Cela demande tant de précautions, de tact, de minutie, de respect. Là, elles sont à leur affaire ; mais déplacer cette pierre énorme, intraitable, ça serait comme soulever une montagne. Et pourtant le Maître l’a bien dit : que la foi, c’est cela, déplacer les montagnes. Mais qui sait, peut-être l’amour fait-il mieux que la foi, et c’est l’amour qui les mène ainsi de l’avant…
Car malgré tout, elles ont une connivence singulière avec l’incroyable : comment en effet penser qu’il soit possible qu’un autre corps puisse surgir et grandir dans mon propre corps, dans mon ventre de femme ? Claire, Cécile, cela, vous le savez bien : comment penser qu’un jour, au bout de neuf mois combien précieux, je vais le mettre au monde des vivants, qu’il va sa séparer de moi, la douleur sera violente, la souffrance sera intense, la respiration haletante, à croire que les derniers instants de ma propre vie sont arrivés ; et puis, rien de cette terreur : soudain, ça y est, je respire et repose, et ce petit être tout neuf respire, lui aussi, sur moi, à côté de moi.
Alors, si nous sommes capables de mettre ces petits d’homme au monde des vivants, pourquoi ne serions-nous pas en mesure de mettre les morts au monde qui est le leur et qui est au-delà, mais aussi pourtant au milieu du nôtre ?
Elles n’ont pas vu la fulgurance divine renverser la pierre, mais c’est un fait : « Levant les yeux, elles s’aperçoivent qu’on a roulé la pierre ». À peine intriguées, elles entrent dans le tombeau, elles voient « assis à droite, un jeune homme vêtu de blanc ».
Ce gars-là me dit quelque chose… Mais oui ! ça y est : dimanche dernier, on avait repéré, en passant, un jeune homme qui suivait Jésus dans le jardin de Gethsémani. On avait voulu l’appréhender il n’avait sur lui qu’un drap et il s’était enfui, tout nu. Qui est-il ? un homme jeune, nu – oh ! quelle disgrâce, quelle indignité, quelle faiblesse ! Et il s’échappe d’un jardin… Mais je sais son nom : c’est Adam, c’est vous, c’est moi, et qui n’a pour seule vêture qu’un linceul, vêtement de mort…
Et le voilà restauré dans son entière dignité, revêtu de noblesse et de lumière – l’éclat de ce blanc, de cette clarté qui approche celle dont Jésus était revêtu au jour de la Transfiguration – vêtement de la liberté très pure et que le Nouvel Adam qu’il avait tenté de suivre, lui aura mérité…
Voyant cela, entendant ces quelques mots : « Vous cherchez Jésus de Nazareth, le Crucifié ? Il est ressuscité : il n’est pas ici », elles sont saisies de frayeur et, poursuit l’évangéliste, « elles s’enfuirent du tombeau, parce qu’elles étaient toutes tremblantes et hors d’elles-mêmes. Elles ne dirent rien à personne, car elles avaient peur » (2).
On les comprend : se retrouver ainsi sans préparation, sans précaution, en présence du Dieu vivant et agissant, en plein éclat, en pleine splendeur et qui fissure le train-train des habitudes acquises, des rituels compassés et de la banalité des choses comme elles vont. Résurrection, disons-nous, c’est exact ! Mais mieux encore, c’est la re-création du monde qui commence, et c’était l’objectif premier auquel pensait le Créateur depuis toujours – c’est la raison pour laquelle nous lisons le premier chapitre inaugural de la Genèse en tête de notre vigile pascale -, et les prophètes en ont eu le pressentiment : ainsi Ézéchiel, un cœur neuf, un esprit neuf, un cœur charnellement humain, vraiment humain, accessible à la vibration de la parole de son Créateur, de son Créateur énamouré.
Et là, nous qui sommes, comme dit saint Paul aux Romains, nous qui sommes « comme des vivants revenus de la mort »(3), nous nous présentons à Dieu pour entrer dans le combat de la sainteté : c’est pour cela, Claire, Cécile et Vincent, que vous avez demandé et que vous allez recevoir le sacrement du baptême et la force de l’Esprit de sainteté, et l’intelligence de la Sagesse.
Ce sera pour vous, comme ça l’est pour nous, nouvelle naissance.
Notes du copiste :
(1) note du copiste : Jean 19,39
(2) c’est le verset qui suit immédiatement l’évangile de ce jour : Marc 16,8
(3) lire l’épître un peu plus loin que le passage lu aujourd’hui : chap. 6, verset 13.
Rueil-Malmaison, Sainte-Thérèse
31 mars 2018
Nuit pascale et baptême de Claire, Cécile et Vincent