La Passion du Seigneur selon saint Jean (18,1 – 19,42)
Par le Père François Marxer
« Qu’est-ce que la vérité ? » Le procurateur est un Romain, le prévenu qui est en face de lui reconnaît qu’il est venu pour « rendre témoignage à la vérité ». Le même mot, mais l’un et l’autre ne l’entendent pas de la même façon : pour le prévenu galiléen, la vérité est un engagement ; pour le procurateur, c’est un acquiescement. Pas plus. Alors que Jésus vient de le dire à ses intimes au cours du repas qu’il a partagé avec eux : « Je suis le chemin, la vérité et la vie ». Formule étonnante : la vérité, la vérité d’une vie, c’est de s’engager dans le chemin qui mène à la vie ; et tout homme d’Israël comprend que ce chemin-là, ce chemin véridique, c’est celui que tracent les commandements, les paroles de Dieu.
Mais de cela, Pilate n’a que faire : il a en main la force qui écrase, quitte, s’il le faut, à bafouer les dieux. Il a beau être un sceptique comme il se doit, au final il fera écrire la vérité noir sur blanc, et en trois langues, pour que tout le monde comprenne, hébreu, grec, latin, pour qu’aucune culture après cela ne puisse prétendre qu’elle l’ignorait : « Jésus le Nazaréen, roi des Juifs ».
Ça ne plaît pas à tout le monde. Les autorités se plaignent – logique : elles viennent de reconnaître : « Nous n’avons pas d’autre roi que l’empereur ». Mais Pilate tient bon, il n’est pas si malléable que ça, ce politique ; tant mieux : « Ce que j’ai écrit, je l’ai écrit. »
Et comme ça, il a entrouvert la porte à la vérité. Celle-ci va déferler au rythme des psaumes qui se suivent à haute cadence : psaume 21 (« ils se sont partagé mes habits ; ils ont tiré au sort mon vêtement »), psaume 68 (« J’ai soif »), psaume 33 (« aucun de ses os ne sera brisé »). Toutes ces paroles hébraïques qui étaient figées dans le parchemin ou dodelinaient dans la prière synagogale, vibrent à présent dans la chair blessée, humiliée, du Crucifié/du Messie crucifié.
Et pour finir, un soldat anonyme va parapher cette cadence de la vérité qui se dit en prenant chair, en ouvrant la source écarlate et cruelle des Écritures : « Il perça le côté ; et aussitôt, il en sortit du sang et de l’eau. Celui qui a vu rend témoignage, et son témoignage est véridique ». Les os ne seront pas brisés, le support tient bon, indéchirable, et la lance, tel un instrument musical, nous fait entendre le diapason de l’amour passionné, et nous-mêmes, toujours idolâtres, toujours épris de puissance et de pouvoir, nous voilà obligés de tourner notre regard vers celui que nous avons transpercé et de voir ainsi la Parole de Dieu faite chair, traçant le chemin véridique, le chemin véritable, pour la vie des vivants.
Rueil-Malmaison, Sainte-Thérèse
Vendredi Saint 30 mars 2018