Guérison d’un lépreux, Marc 1,10-45
par le Père François Marxer
Eh bien, mes frères et sœurs, nous allons commencer par un sondage : lesquels parmi vous portent le prénom de Raphaël ? […] Et si je vous demande dans quel livre de la Bible on peut suivre l’Archange qu’est votre saint patron dans les péripéties d’un étonnant voyage ? […] C’est le livre de Tobie, le livre des fiancés et des pèlerins. Et savez-vous ce que signifie ce nom de Raphaël ? Dieu est guérisseur, Dieu est médecin. C’est une compétence de Dieu, le créateur des vivants, de toute la diversité, du foisonnement du monde des vivants (ce monde que nous étudions dans nos enquêtes zoologiques). Ce Dieu créateur pare et répare les défaillances qui affectent les vivants, et surtout, il est celui qui veille à restaurer la dignité incomparable, inaliénable, des hommes vivants, il les sauve, c’est-à-dire qu’il veille à maintenir la grandeur de la bio-graphie d’un chacun de nous. Au passage, remarquez les deux mots grecs qui se sont glissés dans votre vocabulaire : dans « zoologie », il y a zoé (ζωή), la vie organique du vivant, et dans « biographie », il y a bios (βίος), un cran supérieur : c’est la vie unique, singulière, de l’homme vivant. Et je vois bien la différence dans ce propos de l’Apôtre Paul aux Corinthiens : « L’homme extérieur s’en va à sa ruine, mais l’homme intérieur grandit et va de gloire en gloire ».
Et remarquons que Jésus que l’évangéliste Marc nous présente d’emblée – chapitre 1, verset 1 – comme « Fils de Dieu », Jésus donc, au moment où il entre en évangélisation, assume immédiatement et intensément cette préoccupation, ce souci, cette compétence de guérison et d’apporter soulagement au mal-vivre des souffrants.
Déjà, il y a quinze jours, à la synagogue, il enseignait – cela, c’est l’autre volet, tout aussi essentiel, de la proclamation de l’Heureuse Nouvelle, de l’Évangile – et chacun, rappelez-vous, pouvait constater sa singulière manière d’enseigner – pas comme les scribes, ces professionnels des discours officiels, car lui, il a autorité, une puissance qui, tout de suite, va être mise à l’épreuve, soumise à vérification : voilà qu’il est apostrophé par un homme habité par un esprit mauvais. Et Jésus applique sans discuter sa manière à lui de thérapie. Ce n’est pas la peine de raisonner, de convaincre, de discuter avec ce malheureux. Jésus s’adresse directement à l’esprit mauvais qui est en lui, mais qui n’est pas lui – cet esprit mauvais qui d’ailleurs n’est pas tout seul, mais qui est le porte-parole d’une cohorte maligne qui, pour l’instant, se tient coite. Esprit malsain et pourtant intuitif et presque savant, il a bien deviné à qui il avait affaire : « Tu es le Saint de Dieu » ; et ainsi de provoquer Jésus à se dévoiler et du même coup, de favoriser ambiguïtés et illusions dans l’esprit des auditeurs.
Or la tactique de Jésus – on le verra tout au long de l’évangile -, c’est la tactique du secret, c’est-à-dire d’une découverte progressive de la vérité, d’une accoutumance petit à petit à la vérité : vérité de ce qu’il est, lui, Jésus, et non moins, vérité de qui est cet homme-là, et de tout homme quel qu’il soit. Car cette vocifération bruyante qui invective Jésus, n’est pas le vrai de l’être humain : n’entendez-vous pas ce qu’il y a de rage, de haine sans doute, de désespoir en tout cas, parce que Jésus va démasquer cet abîme de pulsions qui défigure l’être humain, qui le divise – ça, c’est le diable – ou alors le pousse à s’accuser lui-même, à rancir de sa culpabilité, à désespérer -, ça c’est le satan, l’accusateur…
L’affrontement fut bref. Convulsions. Un grand cri. Comme une naissance. Une renaissance. Dimanche dernier aussi, l’affrontement s’était poursuivi, et au pluriel : Jésus interdit à ces esprits négatifs, ces esprits négateurs, il leur interdit de parler. C’est clair, pas la peine de parlementer, de dialoguer – car le diable (le dia-bolos) est à rebours de tout dia-logue (dia-logos), il le sabote consciencieusement.(1)
(1) note du copiste : « diable », du grec « diabolos » (de δια-ϐάλλω = jeter de côté et d’autre, disperser, séparer) ; « dialogue », du grec « dialogos (de δια-λέγω = parler entre (interlocuteurs), discourir, s’entretenir avec quelqu’un).
Et c’est pareil dans la vie commune. Sous prétexte de libéralisme et de liberté d’expression, on tolèrerait que les esprits mauvais qui pullulent aujourd’hui comme hier, exposent leur point de vue négateur, voire négationniste. Et je crois bien, cela prolifère sur les réseaux sociaux. Vous allez peut-être crier à la censure, ce n’est pas du tout ce que je vous suggère : la question est de couper court à ce cancer spirituel qui ronge nos dispositions d’espérance et notre dignité.
Toujours dimanche dernier, Jésus revient de la synagogue – c’était le jour du shabbat, jour du repos festif – et il est reçu dans la maison de l’un des compagnons qu’il a choisis, Simon. Et on apprend que la belle-mère de Simon est alitée, fébrile, malade. Et donc hors-jeu, en dehors de ces petites réjouissances hebdomadaires. Immédiate réaction de Jésus, il saisit la main de la malade et il la réintègre dans le jeu de la fête familiale. Guérir, c’est cela aussi : redonner sa place dans la sociabilité commune, au malade qui est tenu à part. Au pire la quarantaine ; à l’ordinaire, garder la chambre, et ça se prolonge en convalescence…
Nous-mêmes, nous n’avons pas ces dons foudroyants de guérisseur de Jésus, mais nous avons la capacité, le don de la consolation : non, tu n’es pas à part, tu endures durement ce qu’il en est de notre condition humaine, ses défaillances, ses imperfections. Moi qui t’écoute, qui essaie de te parler avec des mots justes, humblement justes, je ne suis pas au-dessus de la mêlée, je ne suis pas un surhomme. Non, c’est parce que j’essaie d’avoir un peu de bienveillance pour moi-même qui suis fragile et faillible – car le mal est présent en moi aussi – que je veux être bienveillant pour toi. Que nous nous soutenons l’un l’autre. Toi tu m’apportes de la confiance et moi je te donne de l’espérance.
Et ce dimanche, venons-y, c’est le grand chelem. Ce lépreux qui met Jésus au pied du mur, il lui barre le chemin, pas moyen de reculer. Quitte ou double : « Si tu veux, tu peux… » – « Je le veux », et Jésus touche le lépreux. Voyez-vous, guérir un aveugle de sa cécité, ou un sourd-muet de sa surdité, pas de danger, et c’est souvent spectaculaire, et la foule des présents s’ébaudit. Mais un lépreux, le toucher, c’est différent. C’est prendre le risque de la contamination, de l’impureté, de se trouver stigmatisé, exclu de toute sociabilité.
Et c’est ce qui se passe : Jésus prend sur lui la malédiction, le voilà obligé de rester à l’écart, de s’éloigner comme un pestiféré. Et pourtant la réaction de l’opinion est à l’inverse de ses réflexes habituels. Les gens sortent des villages et des bourgs pour venir quand même à Jésus. N’ont-ils pas été guéris à leur tour de cette inhumanité qui se parait de la vertu de prudence ?
Jésus médecin, Jésus thérapeute, Jésus guérisseur. Eh bien ! laissons pour finir la parole à un délicieux humoriste, Jacques Sempé, bien connu de vous. Comme ce dessin d’une immense basilique ou cathédrale, aux voûtes impressionnantes, toute de majesté, et puis, là, devant l’autel, une toute petite dame agenouillée sur son prie-Dieu, et qui prie. Et quelle est sa prière, vous allez voir si étonnamment juste : « Mon Dieu, mon Dieu, j’ai tellement confiance en Vous que des fois, je voudrais vous appeler Docteur ! »
Rueil-Malmaison, Saint-Pierre/Saint-Paul
11 février 2018 (Journée des malades)
6ème dimanche du temps ordinaire (année B)