Connaissez-vous Marie Noël ?
par le P. François Marxer
« Connais-moi si tu peux, ô passant, connais-moi !
Je suis ce que tu crois et suis tout le contraire !
La poussière sans nom que ton pied foule à terre,
Et l’étoile sans nom qui peut guider ta foi… »
C’est le défi que te lance cette bonne dame provinciale avec cet aplomb de petite fille et cette inconsolation de vieille fille qu’elle est tout uniment. Pour l’état civil, elle est Marie Rouget, fille de Louis Rouget, sévère professeur de philosophie au lycée d’Auxerre, à la raison sans compromis, et la morale sans faille, et de sa mère née Barat, et donc parente de sainte Sophie Barat, femme audacieuse et entreprenante missionnaire. Pour le monde des lettres et des amis de la poésie et de la beauté, elle est Marie Noël, un des plus grands écrivains de notre siècle, dira Henry de Montherlant.
« MARIE NOËL. / Marie (mara), l’amertume mortelle de ma racine. / Noël, mon miracle, ma fleur de joie. » Et Dieu sait si Noël ne lui fut pas jaillissement d’allégresse. 1904 : elle a vingt ans, et au lendemain de la Nativité, elle trouve son frère Lucien, douze ans, mort dans son lit. Des jours entiers, sa mère hurlera sa douleur et sa souffrance face au Ciel ravisseur des jeunes pousses de vie humaine, et toute la maisonnée avec elle. Alors
« Connais-moi si tu peux. Le pourras-tu ?… Le puis-je ?…
[…] Tu le sauras si rien qu’un seul instant, tu m’aimes ! »
Or au lendemain de la mort du frère puîné, le jeune homme dont Marie s’était éprise, sans bien sûr lui en faire confidence, avait quitté la ville d’Auxerre sans s’être jamais aperçu de rien ; double deuil à jamais…
En vouloir à Dieu, coup sur coup ? Revendiquer, exiger des explications ? Ce n’est pas la manière de Marie Noël, ni non plus de se plaindre (« Mon cœur, je n’en parle pas. Je le tais . Ou je le chante. ») ni de se résigner. Jamais elle ne cédera sur son désir d’aimer malgré tout et donc que soit donnée raison de cette fatalité obscure, impénétrable, du Mal incompréhensible qui fait tant de mal à l’homme et le pousse au désespoir : elle ne se frotte pas au Créateur, trop solennel, trop en majesté (« En vous, Seigneur, le Mal est Bien… » : on ne sait jamais, si c’était un despote !), mais elle prendra comme allié Jésus « Dieu de Noël, Dieu des soumis et des humbles » (elle s’y retrouve tout naturellement). Et avec lui, elle descendra dans l’enfer du désespoir, des années durant, minée par la maladie vertigineuse où tout s’effondre, et ainsi, pourra-t-elle aider les âmes troublées car elle est leur sœur, comme le lui rappellera son cher abbé Mugnier, son confident et paternel soutien.
Et puis ajoutez à cela : le poids, la charge des proches, d’une vieille mère, d’une tante un peu folle, des soucis domestiques et des services que réclament tous les autres, voisins, famille, etc… alors qu’elle aurait tant voulu voler comme alouette, libre dans le ciel de poésie, ou bien courir, sauvage, comme une chèvre à débusquer romarin ou serpolet dans « ces hauts battus des vents » ou landes solitaires. Et elle aura dû (comme chacun d’entre nous, n’est-ce pas ?) « faire passer – difficilement – son chameau et ses bosses par le trou de l’aiguille bourgeoise, paroissiale ou familiale ». Bien des années plus tard, elle confessera qu’« après avoir été un instant, fleur fraîche et fruit mûr dans le jardin de Dieu, je voudrais bien pour mon hiver être une bonne vieille petite pomme dans son cellier. »
Marie Noël est morte il y a cinquante ans, le 23 décembre 1967. Savourez sans modération ses Notes intimes et sa poésie : ce sont fruits confits de bonne vie chrétienne, exquis et délicieux.