Par le Père Antoine Vairon
Quelles étaient donc les attentes et les espérances des foules qui ont acclamé Jésus lors de cette entrée joyeuse, tourbillonnante, à la jubilation improvisée, lorsqu’il s’est présenté devant Jérusalem pour la grande fête de Pâques où il était tellement attendu.
En tout cas, il semble bien que ces attentes-là aient été déçues, comme les lèvres des deux compagnons marchant vers Emmaüs le lendemain du grand Sabbat en livrent le témoignage : « voilà déjà le troisième jour après que ces événements [la mort de Jésus] se sont passés, et nous qui espérions qu’il serait le libérateur d’Israël… » (Lc 24, 21)
Voir nos espérances déçues, voir nos attentes languissantes, constater que certaines de nos prières, aussi ardentes soient-elles, n’ont en apparence pas été exaucées. Voilà une expérience éprouvée par beaucoup. Une expérience douloureuse, il faut bien le reconnaitre.
Beaucoup se sont éloignés de Dieu… car ils ont été déçus par Dieu… Et nous parfois aussi…
Serait-ce là le dernier mot ? La part du plus grand nombre serait-elle de voir leur vie se heurter sur l’obstacle, apparemment inévitable de la souffrance sous ses multiples formes : maladie, deuil, séparation, échec de la vie professionnelle… et sur l’inéluctable frontière de la mort : impossibilité d’empêcher le décès de ceux qui nous sont chers, en attendant que vienne la nôtre propre ?
Ce douloureux constat nous fait d’autant plus peur à regarder en face que nous savons qu’il se révèle bien réaliste… terriblement réaliste. Et donc oui, serait-ce là le dernier mot ?
Nous qui, comme chrétiens, avons accepté d’ouvrir nos existences à Jésus, nous reconnaissons en lui un « Maître de sagesse » et un « maître de vie ». Allons-nous lui permettre d’être aussi un maître pour nous éclairer sur ces questions essentielles ?
Car Jésus est le maître de l’Espérance.
Voilà bien ce qu’il nous offre au seuil de cette Semaine Sainte : nous permettre d’être ses disciples pour le suivre pas à pas et nous laisser enseigner par lui. Accepter qu’il se mette à notre service et qu’il nous lave les pieds pour nous donner « d’avoir part avec lui ». Laisser les enseignements de sa Passion parler à notre cœur pour nous rejoindre vraiment dans nos déceptions, dans nos lassitudes, dans nos craintes diffuses, pour nous laisser renouveler dans l’Espérance, restaurer dans l’Espérance.
Non pas des espoirs humains défendus à la force du poignet, mais bien la « grande Espérance », selon l’expression du pape Benoît XVI. « L’Espérance qui ne déçoit pas », comme ose le proclamer Saint Paul.
Oui, entrer dans la Semaine Sainte c’est « entrer dans l’Espérance » (St Jean-Paul II), non seulement en contemplant ce que Jésus nous dit et nous montre, mais bien davantage nous laisser rejoindre par l’œuvre de sa Passion, façonner le cœur par l’œuvre de sa Miséricorde, interroger l’esprit par les déconcertants chemins qu’il prend pour nous obtenir ce relèvement que seul Dieu peut offrir de la sorte.
Les chrétiens doivent prendre au sérieux la liberté de Jésus qui s’engage volontairement dans l’accomplissement de l’œuvre du Père ; ils doivent prendre au sérieux chacun des actes du Christ et chacune de ses paroles aux heures de sa Passion ; ils doivent prendre au sérieux l’acte de la Croix, sinon ils courent le risque d’être de faux prophètes, de ceux qui annoncent au temps présent des solutions illusoires et des espoirs de pacotille.
Les chrétiens que nous sommes doivent entrer résolument en Semaine Sainte et vivre ardemment les offices liturgiques qui nous unissent à l’œuvre de Jésus, pour être en mesure d’offrir réellement autour d’eux la grâce divine qui y est contenue et que nos contemporains sont en droit de recevoir : une Espérance offerte à tous qui puisse dans le même temps être réellement une Espérance personnelle, une Espérance pour moi.