Par le Père Antoine Vairon
Toute journée comporte 24 heures. Chacun sait cela. Et pourtant, la 25ème heure n’est pas sans intérêt.
Je n’évoque pas ici celle du roman du même nom de Constantin Virgil Gheorghui, méditation toujours actuelle du danger des régimes totalitaires et du drame de la déshumanisation bureaucratique, puisqu’elle évoque pour lui l’heure de l’impuissance face à la fatalité de l’histoire. Or, nous avons à agir dans l’histoire. Mais bien plutôt cette 25ème heure que nos frères juifs ajoutent au Shabbat.
Le Shabbat est par excellence ce qui est dû à Dieu. Cette journée de repos qui lui est consacrée, non seulement pour imiter le repos divin après l’œuvre créatrice (Ex 20, 11), non seulement pour nous rappeler que nous devons rester libres face au travail oppressant (Dt 5, 15), mais parce qu’il l’a demandé. On sait
tout l’attachement spirituel, toujours actuel, de la spiritualité juive pour ce temps consacré au Seigneur.
Toute la semaine s’organise autour, puisque les trois jours qui précèdent sont tournés vers lui, dans la joie grandissante de pouvoir bientôt le célébrer ; alors que les trois suivants font vivre encore dans la nostalgie heureuse d’avoir pu goûter à ce temps avec Dieu.
Temps consacré à Dieu. Temps si précieux. Il ne faudrait pas en perdre une miette. Mais surtout, qu’est-ce qui pourrait être invoqué comme excuse pour avoir empiété sur ce qui était dû à Dieu ? Comment cela :
on courrait le risque, par négligence, imprudence ou simple contretemps, de tronquer ce temps offert à Dieu, car dû à Dieu ? Cette simple perspective fait trembler, de cette crainte amoureuse de déplaire à l’aimé.
Du coup, la 25ème heure est aussi cette heure de largeur de cœur ajoutée pour être bien assuré de ne pas empiéter sur ce qu’on a décidé, par fidélité, d’offrir à Dieu.
Pourquoi vous écrire cela ? Je dois être honnête : parce ce qu’un curé écoute ce que lui disent les paroissiens. Or, ces dernières semaines j’ai été interpellé à plusieurs reprises, par des membres des équipes paroissiales et par des paroissiens habituels, sur les retards à la messe. Et, vous savez, ils ont raison. Il est bon de se le rappeler de temps en temps… surtout lorsque l’on est plein d’énergie et de bonnes résolutions en début
de carême !
Et, tel ce vieux prêtre d’une de mes paroisses précédentes, lui qui aimait accueillir jusqu’au temps du Gloria lorsqu’il concélébrait et disait avec un sourire plein d’affection aux paroissiens retardataires : « Bienvenue ! Vous savez, si c’était un train, vous l’auriez manqué ! ».
Arriver à l’heure à la messe ! Et même, éclairés par la 25ème heure… arriver en avance. Mais que faire alors ? Nos églises en ce carême doivent-elles donner l’image d’un hall de gare ? Certes la convivialité et la fraternité sont précieuses, infiniment. Reste à leur donner le cadre adéquat. Nos sanctuaires sont d’abords des lieux de prière et de recueillement. Prier pour se préparer à célébrer la messe change la manière de la vivre et d’en recueillir les fruits. Et les chercheurs de Dieu, qui ne connaissent pas les usages dans une église, attendent de nous le sens de Dieu et l’accès à Dieu. Bref, un exemple non prétentieux (cf, Mt 6, 5) mais qui édifie,
qui donne envie.
Certains se demandent pourquoi de nombreux jeunes sont attirés par la liturgie en rite tridentin. Bien souvent, ce n’est pas tant le latin qui les touche que le recueillement qui l’accompagne. Surtout dans notre monde bruyant.
A nous de savoir cultiver nos sanctuaires comme des lieux propices à la rencontre avec Dieu, et de savoir, pour nos messes et pour bien des aspects de notre relation à Dieu, vivre la spiritualité de la 25ème heure.