Homélie mercredi des Cendres 5 mars 2025
Eglise Saint-Pierre-Saint-Paul
Il faut nous souvenir que nous avons un corps. Ou plutôt, il faut nous souvenir que nous sommes un corps, que nous sommes corporels, car notre corps ne saurait être considéré comme une simple enveloppe physique ni comme une simple mécanique biologique.
Saint Jean-Paul II, dans les riches méditations sur la théologie du Corps qu’il nous a offertes et dans lesquelles l’Eglise et de nombreux chrétiens ne cessent de puiser des éclairages, insistait pour que l’on ne se laisse pas prendre par le défaut de perspective introduit par une part de la pensée contemporaine. Celle-ci serait tentée de voir la personne humaine comme un biologique parmi d’autres biologiques, un mammifère parmi d’autres mammifères. Peut-être un peu plus évolué et doté de capacités fortes, mais somme toute un mammifère. Or voilà que Saint Jean-Paul II nous invitait à considérer notre identité véritable : non pas du biologique développé, mais du spirituel incarné. L’homme et la femme créés à l’image et à la ressemblance de Dieu, capable de connaître et capable d’aimer. A l’image de Dieu.
Il faut nous souvenir que nous sommes, selon la belle expression du Concile Vatican II, « un de corps et d’âme » (corpore et anima unus, GS 14), pour nous rappeler que c’est avec tout ce que nous sommes que nous allons vers Dieu.
Combien vibrant est l’appel qui retentit chaque année au seuil du saint temps du Carême. Appel que le Seigneur adresse aussi bien à nous, qui sommes venus prier ce soir, qu’à tous ceux et celles que nous avons croisés dans la rue ou à notre travail aujourd’hui, à chacun de nos contemporains : « revenez à moi de tout votre cœur, je ne suis qu’amour et tendresse ».
Avec notre corps, nous avons à habiter les deux grandes dimensions dans lesquelles nous nous mouvons jour après jour : l’espace et le temps.
Habiter le temps. Entrer dans un temps spécifique. Entendre résonner à l’intime de nous-même que ce temps est offert à l’Eglise et à chacun comme temps de grâce. Un temps particulier car un temps de grâce. Vous le savez bien, non pas le chronos, qui s’écoule inexorablement, inarrêtable. Mais bien le caïros, le temps de la grâce. Celui où Dieu agit de manière particulière parce que nous lui offrons une disponibilité particulière. Celui où Dieu agit de manière particulière parce que nous nous souvenons que Dieu est Dieu et que nous lui réoffrons la place qui lui est due. Empiètement de Dieu sur nos activités et notre liberté ? Bien au contraire, recentrement sur Dieu, pour nous libérer de tout ce qui, voulant usurper sa place, enlace et étouffe insidieusement notre liberté véritable.
Désirer entrer dans le saint temps du Carême. Désirer habiter le saint temps du carême. Et spécialement en cette année jubilaire. Chaque jubilé, depuis les temps bibliques, est proclamé avec une dimension de libération. Libération de ce qui pèse, et en particulier les péchés, que l’on peut parfois porter comme des fardeaux secrets pendant longtemps, très longtemps, avant de les déposer -enfin- au pied de la Croix du Sauveur dans le sacrement de la Réconciliation. Confession désirée, confession préparée, don du Pardon célébré. Enfin !
Habiter le temps c’est aussi prendre le temps. Savourer le temps. S’offrir le temps. Mais nous n’avons pas le temps. Nous n’en avons pas assez. Nous courons après, au risque de perdre souffle.
Alors, prendre ce temps que nous n’avons pas, pour enfin découvrir qu’il nous est offert comme une grâce. Prendre le temps de la prière, pour de nouveau goûter la grâce de la prière. Prendre le temps de la rencontre, pour de nouveau savourer la grâce de la rencontre, en Dieu. Prendre le temps du service, pour de nouveau réaliser que « tout ce qui n’est pas donné est perdu », selon le proverbe indien qu’aimait à citer ce missionnaire, le père Pierre Ceyrac.
Habiter le temps… sans se laisser avaler par les écrans. Ô petits bijoux de technologie ! Aussi brillants que fascinants. A n’en pas douter, nous en sommes les maîtres puisque c’est nous qui les utilisons, qui choisissons les applications à charger, qui ‘scollons’ avec une dextérité à faire pâlir jongleurs ou croupiers. Comme il est bien certains que nous ne leur accordons pas une minute futile, pas une curiosité imprévue. Pardi ! N’en sommes-nous pas les possesseurs et les maîtres ?
Habiter le temps autrement, pour le recevoir comme une grâce. Pour être de nouveau disponible à la grâce. Pour savoir de nouveau rendre grâce.
Habiter l’espace aussi. Nous avons un corps, nous sommes notre corps, notre corps nous porte là où nous en avons besoin.
En cette année anniversaire du Concile de Nicée, confesser comme notre Seigneur Jésus-Christ, vrai Dieu et vrai homme, c’est confesser que le Verbe éternel a réellement pris un corps d’homme. Etonnante limitation, étonnante autolimitation. Lui, l’au-delà de tout, qui consent à n’être qu’à un endroit à la fois. Être là et uniquement là. Être là et pleinement là.
Contempler le Verbe incarné. Apprendre de lui à être pleinement présent. Présent à Dieu, présent aux autres. Apprendre du Verbe fait chair que l’urgence du salut passe par le fait d’être là pleinement. Présence offerte.
Notre corps qui nous permet aussi d’aller vers. D’aller à la rencontre. C’est avec lui et par lui que nous pourrons répondre à l’invitation de notre évêque, adressée au début de l’année jubilaire et qu’il nous rappelle dans son message de Carême : vivre 5 pèlerinages personnels !
– Un pèlerinage vers la profondeur de votre cœur pour avancer ou redémarrer dans une vie de prière vraiment personnelle et régulière.
– Un pèlerinage vers la miséricorde du Seigneur et vers le Sacrement de la réconciliation.
– Un pèlerinage vers une personne avec qui vous êtes en conflit pour que s’ouvre entre vous un chemin de pardon et de paix.
– Un pèlerinage vers une personne en difficulté pour offrir des gestes de fraternité et de charité.
– Un pèlerinage vers une personne qui ne connaît pas ou plus le Christ ! Pour l’écouter et lui annoncer cette lumière.
Sur notre route de pèlerins, nous viendrons prendre force et confiance par le pain de vie, ce Corps Eucharistique dans lequel Jésus abolit la distance de lui à nous.
Temps et espace. Corps et présence. Ame qui vit de Dieu pour que notre corps devienne expression de l’invisible charité de Dieu.
De quoi sera fait ce carême ? Quelle résolution prendre ?
D’abord celle de l’écoute du Maître intérieur.
De l’Esprit de Vérité qui nous connaît à l’intime. Qui sait ce qui a besoin d’être restauré en nous dans ce carême. Restauré par l’Amour.
Esprit de Conseil qui ne cesse de nous éclairer et de nous inspirer, pour peu que nous lui demandions avec une intense franchise, et que nous désirions ardemment prêter attention à son souffle divin en nous.
L’Esprit Saint, l’Esprit même du Christ, Esprit de Dieu qui habite l’Eglise et nos âmes comme dans un temple, saura nous guider pour que nous fassions réellement de ce carême un temps de grâce.
Un temps où Dieu passe.