Par le Père François Marxer
Parmi tous ces prêtres qui ont jalonné un itinéraire jusqu’à la prêtrise reçue le 18 juin 1972, celui qui aura le plus compté et qui m’aura instruit – par l’exemple – de notre ministère, c’est mon oncle François Lelièvre, essentiellement curé de paroisse en Lorraine, Flirey, Crévic, Varangéville, et pour finir, Barisey-au-Plain et ses trois annexes.
En juillet 1988, il fêtait lui aussi avec ses paroissiens, son jubilé d’or et il commençait par évoquer un bien lointain souvenir d’enfance : « Un mien cousin de Lucey – il a meilleure mémoire que moi – se souvient m’avoir vu, tout gosse, grimper dans le tiroir du buffet et, de cette chaire à prêcher pittoresque, exhorter le jeune auditoire de ma parenté. »
Attendons encore vingt ans pour qu’en 1937, devenu diacre, il prononce ses premiers sermons. « Parole de Dieu et service paroissial ne furent-ils pas les deux lignes de force de mon ministère ? » Cette primauté donnée à la prédication est étonnante, presque singulière pour un prêtre de ces années-là, et elle se confirmera plus que jamais dans ses dernières années au service de ses « quatre communautés villageoises », avec des paroissiens à la mémoire étonnante. Prisonnier pendant la guerre dans un Oflag à Mayence, en même temps que le Père Congar, éminent théologien déjà fort connu et estimé, il eut la surprise d’apprendre que les autres officiers préféraient de loin les sermons du jeune prêtre sans célébrité aux harangues savantes du dominicain peut-être moins accessible. Le neveu aura eu quelque mal à retenir la leçon !
Mon oncle avait la plume alerte et élégante, on lui avait vanté les mérites du journalisme, mais non ! c’est curé de campagne qu’il voulait devenir.
Cinquante ans d’expérience plus tard, il remarque « les métamorphoses de nos vieilles paroisses rurales et des fonctions du curé et même de son nom : animateur, accompagnateur, modérateur, dit le nouveau droit canon et disent quelques récentes nominations. Je n’ambitionne pas de si grands mots sur ma carte de visite, me contentant d’être, d’être parmi vous, avec vous, dans vos joies, vos peines, votre travail, semaine et dimanche, jour et nuit, du 1er janvier au 31 décembre, d’être là, le jour dit, à l’heure dite, exacte, pour le service religieux envisagé, sans jamais vous avoir fait défaut, et n’est-ce pas déjà une sorte de performance en 12 ans et une grâce de Dieu ? “ Quand on aime, on a besoin de se rendre présent, et, comme on ne peut se rendre présent à tous, on choisit un lieu déterminé, on y vient et on y reste ” (Mgr Ancel, évêque ouvrier de Lyon et Saint-Etienne). »
Certes « il n’a jamais été facile de devenir prêtre, [mais] “ la grâce de Dieu en moi n’a pas été vaine ”. J’ose reprendre cette pensée de Saint Paul [1 Cor XV, 10], puisque je suis assisté de mes deux neveux prêtres, qui sont, eux, dans la fleur de l’âge, dans cette perfection de la jeunesse capable d’inventer, d’évoluer, de s’adapter, d’entreprendre, François et Philippe, et leur maman, ma sœur, dont vous savez […] son attachement aux paroisses dont ma charge m’a été confiée voici juste 12 ans. Trois personnes de ma famille selon le sang, et quatre communautés villageoises, ma famille selon l’esprit et la grâce. »
Mon oncle concluait en citant saint Augustin : « Tant qu’il y aura deux hommes rassemblés pour l’amour de lui, le monde ne sera pas perdu », et aussi Lacordaire : « Tant que l’on aime un prêtre, on aime un peu le Christ qui l’a formé. » Vous aimez (bien) votre Padre (ce qui n’est pas toujours facile), et ainsi vous aimez le Christ qui l’appelé à son service et au vôtre.