Par Francis Lapierre, diacre
Les récits du Fils prodigue et du Bon Samaritain ont assuré la réputation de Luc, l’évangéliste des païens. Aujourd’hui, jour de fête, je voudrais porter notre attention sur le frère ainé du prodigue.
Un père avait deux fils… ce n’est pas une vraie famille. Nous manquent les cris de la bonne mère juive se lamentant sur le départ de son petit dernier.
Le cadet ayant quitté la maison, que se passe-t-il ? Le fils aîné devient l’héritier et futur responsable des terres de la famille. Logiquement, les liens entre le père et le fils aîné doivent se resserrer car c’est le moment pour le père de transmettre tout son savoir au sujet des terres et de dévoiler ses projets, sa vision du futur, d’autant plus que c’est le fils qui en assurera la mise en œuvre et en verra les fruits… comme Salomon construisit le temple rêvé par David.
Que s’est il passé entre ces deux-là pour que la confiance ne s’établisse pas :
« Il y a tant d’années que je suis à ton service sans avoir jamais transgressé tes ordres. » dit le fils ;
« Toi, mon enfant, tu es toujours avec moi, et tout ce qui est à moi est à toi. » répond le père.
Ainsi, les conseils affectueux, les petits savoir-faire, les tours de main, l’expérience partagés au fils sont devenus des ordres pour ce dernier… sans doute parce qu’il a manqué l’essentiel dans cette transmission : redire à son fils, bientôt son successeur, qu’il l’a vu grandir, progresser dans sa vie, qu’il a toute sa confiance et qu’il s’en remet à lui enfin pour l’enterrer dignement en terre juive un jour, le plus tard possible, où il rejoindra ses ancêtres, en quatre mots, lui dire qu’il l’aime !
Privé de cela, le cœur du fils aîné s’est durci. Il dit « ton fils » et pas « mon frère » quand il lui faut, du bout des lèvres, désigner son cadet.
Et si finalement, la plus grande leçon du Fils prodigue n’était pas de constater que le fils absent n’a jamais perdu l’amour de son père, alors que le fils présent a cru en manquer…
Il faut se méfier de la lecture symbolique du texte qui fait du père : Dieu le Père, du fils aîné : le peuple juif et du fils cadet : nous les païens convertis, car c’est reporter sur Dieu le problème de tous les parents.
L’Amour est un don de Dieu que nous devons accueillir avec humilité et transmettre à nos enfants de notre mieux. Mais le quotidien et la répétition des jours, où nous parents, parons au plus pressé, s’avère une machine à broyer les meilleures intentions.
Alors, de temps en temps, comme le Père du fils prodigue, il faut savoir organiser une fête, un événement familial, un temps de pause, qui donnera du temps pour se parler et se réjouir en famille et en Eglise comme aujourd’hui au milieu du carême : « Réjouis-toi Jérusalem, Jubilez de sa joie, vous qui étiez dans la tristesse ! »
Jésus connaissait bien la puissance du repas partagé, rassembleur d’amitié et libérateur de la parole. Il en a fait l’un des moyens de son enseignement. Combien de scènes d’Evangile évoquent-elles un repas ? À l’issue des célébrations de baptême ou de mariage, je ne manque jamais de renvoyer les familles et les amis avec un « Et surtout profitez de l’occasion pour vous dire que vous vous aimez. »
Certains s’en souviennent…