Par le Père François Marxer
On le sait, et on se plait à le répéter : ce fut la prédication le plus courte de toute l’histoire chrétienne. Le succès en fut immédiat : « Tous lui rendaient témoignage et s’étonnaient des paroles de grâce qui sortaient de sa bouche. » Mais la prédication a-t-elle pour objectif le succès ? Ce serait le cas si elle se présentait comme un spectacle, un one-man-show (« Tous, dans la synagogue, avaient les yeux fixés sur lui »). L’auditoire a donc réagi avec admiration et force louange ; c’est un phénomène que nous connaissons encore aujourd’hui, et qu’il convient de considérer avec une prudente lucidité, mêmes si l’on crédite les fidèles prodigues en compliments admiratifs, d’un minimum de sincérité.
En effet la prédication ne vise pas le succès (crever les plafonds de l’audimat), mais, but bien plus aléatoire, la conversion du cœur – à commencer par celui qui prend ainsi (le risque de) la parole devant tous. Du résultat, il est bien difficile de juger, pour soi-même et pour les autres encore plus. Mais on s’obstine, de dimanche en dimanche, sans se faire trop d’illusion, et en réservant à Celui qui, seul, sonde les reins et les cœurs, de se prononcer sur la transformation possible : une clarification, une bonification de celui qui a écouté et peut-être même entendu.
La conversion, elle est au cœur de cette semaine que nous consacrons à la recherche de l’unité entre les chrétiens (mais comment y parviendraient-ils si chacun des baptisés ne s’orientait, ne tendait pas vers son unité intérieure ?). Le 25 janvier, nous célébrons la conversion de saint Paul. S’agit-il vraiment d’une conversion ? Si, du moins, on entend par là le passage d’une confession religieuse ou spirituelle à une autre, radicalement différente. À ce titre, il est bien difficile de considérer l’expérience de Saul de Tarse sur le chemin de Damas comme une conversion : fougueux et belliqueux propagandiste (les disciples de Jésus à Damas n’en menaient pas large quand ils apprirent son arrivée), il gardera son tempérament intraitable. D’être fils d’Israël, il n’y a jamais renoncé, ne l’a jamais renié, mais ça n’aura plus été pour lui titre de gloire ni motif d’orgueil. C’est son appartenance pharisienne, étroite et intransigeante, qu’il réprouvera désormais, et c’est une autre vision de la révélation de Dieu que lui a fait découvrir le Messie ressuscité. Pour tout dire, lui qui s’affirmait en farouche djihadiste menant la guerre sainte pour le triomphe de l’orthodoxie pure et son perfectionnisme implacable, découvre la fraternité messianique – élargissement de ses horizons – grâce au curé de Damas, un dénommé Ananie.
Celui-ci sait à quoi s’en tenir : la prudence recommande de se tenir tranquille maintenant que voilà le Grand Inquisiteur dans nos murs. Mais un dialogue serré avec son Seigneur (qui anticiperait les conversations si franches et débonnaires de Don Camillo avec le Christ en son église), il consent à se jeter dans la gueule du loup, pure confiance en Celui qui le lui demande : conversion du curé de Damas. Il arrive qu’un discernement loyalement conduit réserve quelque surprise, surtout quand Ananie aborde le persécuteur en lui disant : « Saul, mon frère, celui qui m’a envoyé, c’est le Seigneur, c’est Jésus qui t’est apparu sur le chemin par lequel tu venais. » Et j’entends de loin la manière dont Mgr Myriel accueille Jean Valjean, encadré de trois gendarmes qui l’ont appréhendé, sa besace lourde de l’argenterie qu’il venait de dérober à l’évêque : « Jean Valjean, mon frère, vous n’appartenez plus au mal, mais au bien. C’est votre âme que je vous achète ; je la retire aux pensées noires et à l’esprit de perdition, et je la donne à Dieu. » Conversion en marche : Valjean, le forçat, va devenir (mais non sans peine) Monsieur Madeleine, l’homme de la grande bonté.