A propos d’une stigmatisée célèbre
Père François Marxer
Un parfum de scandale avait accompagné l’annonce de la publication de cet ouvrage du carme Conrad De Meester, prévue le 8 octobre : La fraude mystique de Marthe Robin. Le titre aura paru une provocation, suscitant l’émotion combien compréhensible de tous ceux qui sont attachés à la figure de cette femmes singulière, déjà reconnue pour l’héroïcité de ses vertus, première étape vers la béatification et qui sait ? la canonisation. D’ailleurs la réaction ne s’est pas fait attendre : dès le 30 septembre, Châteauneuf-de-Galaure répliquait, démontant l’enquête et les arguments de Conrad De Meester en invoquant l’argument d’autorité qui est – saint Thomas d’Aquin nous l’aura fait comprendre – le plus faible que l’on ait à sa disposition.
Le dossier rassemblé par le Père De Meester est détaillé (certains ajouteront : implacable), irréprochable de précision ; et la lecture de ces 400 pages paraitra austère à la plupart. On peut compter sur la probité, l’intégrité de cet historien chevronné, spécialiste de la littérature mystique et connu pour ses travaux remarqués sur Thérèse de Lisieux et Élisabeth de la Trinité. Sur le sérieux de l’enquête, il n’y a rien à redire, les pièces à conviction sont loyalement présentées. Cependant j’émettrais quelque réserve quant aux conclusions (implicites) que Conrad De Meester semble en tirer. Ainsi le plagiat maintes fois repéré et mis en évidence par notre enquêteur (et là, il faut saluer sa science infaillible des textes, même les plus anodins) est indiscutable. Mais pourquoi Marthe Robin opère-t-elle de tels emprunts, cités littéralement le plus souvent (ce qui, à moins d’une mémoire pathologique, suppose qu’elle a le document sous les yeux) sans indiquer ou suggérer sa source ? Peut-on parler de fraude, de supercherie à ce propos ? Est-ce une manière plus judicieuse de rendre compte de ce qu’elle éprouve ? ou bien une manière de s’insérer dans la continuité d’une transmission qui l’intégrerait dans la tradition de la mystique expiatoire ou sacrificielle, lui offrant ainsi une légitimité reconnue ? En l’absence de documents fiables (car les témoignages des fidèles du premier cercle doivent être reçus avec la plus grande prudence : bien intentionnés, ils voient ce qu’ils veulent voir et sont souvent aveugles à de précieuses évidences), il est fort délicat de se prononcer sur les intentions profondes de Marthe (sans parler de l’inconscient qui joue sa partie !). D’ailleurs mieux vaudrait s’interroger sur la signification de ces faits incontestables, stigmates entre autres. Depuis François d’Assise, le premier stigmatisé officiel en 1224, que veut dire ce discours en actes et non pas en paroles ?
La théologie ne manquera pas d’attirer l’attention sur deux évidences pastoralement préoccupantes. Déjà l’engouement que suscite le merveilleux, le miraculeux, l’extraordinaire, passionnément recherché, qui permettrait de toucher carrément l’infini divin mis à portée de notre regard. Désir (explicable) de sacré, à la fois fascinant et terrifiant, sortie de route sublime hors de la condition ordinaire. Or en logique de révélation biblique et chrétienne, ce n’est pas ce qui est sacré (trompeur bien souvent) qui compte, mais ce qui est saint ; et la sanctification est le fruit de l’écoute de la Parole de Dieu, de la fidélité à la lecture des Ecritures et aux sacrements qui leur donnent chair dans notre vie si banale. Ce sont les moyens, les intermédiaires dont Dieu se sert pour se communiquer à nous ; mais trop souvent – et c’est là la seconde préoccupation – nous ne supportons pas ce silence de Dieu si retiré et qui nous angoisse. Bien plus parlante est une fraternité vécue : ce n’est pas le pape François qui me contredira !