Au matin du premier Jour du monde
par le Père François Marxer
Des écharpes de brume s’accrochaient encore aux pentes des Oliviers et, au fond de la vallée de Josaphat, protégeaient les tombes des justes et des autres, qui attendaient le jugement du Dieu qui ressuscite les morts. C’était le petit jour, le crépuscule du matin qui ressemble à celui du soir : le soir, il prépare la douceur du repos, le matin, il annonce le réveil d’une espérance, et les morts, eux, dans leur long sommeil, espéraient contre toute espérance.
Trois ou quatre femmes marchaient dans les ruelles de la ville, portant, serrés dans leur voile, les aromates qu’elles avaient passé tout le shabbat à préparer. Pour quelle raison ? parce que c’est un devoir de piété d’honorer un mort, et puis il y avait l’affection qui les liait à celui que l’on avait enterré avant-hier en urgence. Elles s’étaient mises à l’ouvrage ; d’autres regardaient de loin, de très loin, des yeux de leur âme : il n’y avait rien à dire, juste à attendre. Toutes l’interrogeaient en elles-mêmes : « Où es-tu ? », comme s’il avait déserté, et pour se retirer où… ? Il n’y avait pas de réponse. Ou plutôt si, comme une voix de silence qui leur disait : « Ne reste pas là, va vers les frères. Réchauffe celui qui a froid, rassasie celui qui a faim, étanche celui qui a soif. Qui a soif comme ta consoeur de Samarie qui m’a rencontré dans sa corvée quotidienne à la claire fontaine. »
Autant dire : ne cède pas à la fatalité. Agis, même si les portes de pierre ne sont pas près de rouler : lui a chamboulé l’empire de la Mort, du néant, dans lequel le diable nous tenait tous en laisse, dans l’esclavage de la peur. Agis mais ne t’agite pas, car il n’en viendrait que du désespoir, et tu ne serais pas dupe bien longtemps. N’oublie pas ce qu’un des Beatles a révélé à son public : « La vie arrive quand nous sommes occupés à élaborer d’autres plans. » Comprends que l’impensable, cela existe. Tu diras : c’est inimaginable, surtout si, ce matin, tu as la gorge nouée et que tu ne peux guère chanter d’Alléluias. Le monde est bouleversé, saccagé, comme s’il était secoué de douleurs d’accouchement : la vie pascale s’épuise, elle est sans force, elle soupire. C’est long de se défaire d’un visage, mais il finit par s’effacer et ce qui reste, ce sont les mots, peut-être aussi le timbre de sa voix, comme du bronze chaleureux, avec son accent galiléen…
Lui a rangé soigneusement les affaires : il a replié le suaire et enroulé les bandelettes ; c’est un enfant bien élevé et on ne laisse pas en désordre le tombeau que l’on s’apprête à quitter. Il va d’abord aller voir sa mère, car c’est un bon fils. Il la voit qui arrose les rosiers de Sarone qui fleurissent devant la maison pour nous enjouir de leur parfum. Il entre : « Mère, me voici. – Ah ! c’est toi, répond-elle, les larmes aux yeux, je t’attendais, tu sais ! » Elle ne dit rien de plus, même si elle avait bien envie de demander, comme toutes les mamans : « Alors, comment vas-tu ? », elle voyait bien les cicatrices toutes fraîches…
Il fallait aller voir les amis qui devaient se morfondre. En route il croise Pierre, plus perplexe que jamais et qui, de le voir, en devient tout guilleret et affirmatif comme jamais. Oh ! il ne se pose pas de question, mais il va alerter les camarades qui ne le croient qu’à (grand) peine. Sceptiques, les hommes, comme toujours, c’est incroyable, répètent-ils en boucle. Alors il vient, ils sont stupéfaits, effrayés même, mais petit à petit, la joie, oh ! timide, prend ses quartiers du coeur. Ce sera long, il faudra même les secouer pour les déconfiner à Pentecôte. Il leur parle et ce qu’il dit est une bénédiction et cette bénédiction est une caresse qui console et qui rassure et qui réjouit un enfant et puis, après, on peut lui dire : « Allez, vas-y, tu peux y aller… » Et ils ont détalé, les yeux brillants de bonheur, avec des rires dans la voix pour les meilleurs.
« La foi, c’est simple » s’est avisé de dire un théologien désormais centenaire, époustouflant d’audace et de malice, nonobstant nombre d’heures enseignées et de livres imprimés. La foi, ce n’est pas la croyance : la croyance entasse, accumule, sédimente, argumente ; la foi désencombre, elle désobstrue la Source, et ainsi « j’ai vu l’eau vive jaillissant du coeur de Dieu, alléluia ! »