Être relevé : l’accomplissement de la résurrection – 1 Sam 16, 1b – 6-7 – 10-13a
Par le Père François Marxer
Livre de Samuel. Nous quittons l’univers de la Loi – de la Torah – où nous avions accompagné Abram et suivi Moïse, et nous voilà dans le temps des prophètes. Et devant un garçon dans la beauté signalée de sa jeunesse – « Il avait de beaux yeux », prend même soin de noter au passage notre narrateur. Il a tout pour attirer, ce jeune garçon, mais certainement pas pour fasciner, car la beauté d’un visage est le reflet de la beauté même de Dieu. La beauté de Dieu, on l’oublie trop souvent, comme le déplorait à demi-mot notre chère Marie Noël dans une lettre datée de septembre 1959 : « On oublie trop que Dieu est beau. ‘’Saint ! Saint ! Saint !’’, on le proclame à toutes voix, saint, puissant, juste, bon, sage, revêtu jusqu’à l’infini de toutes nos vertus humaines. Mais, qu’Il soit beau, on l’ignore, bien qu’Il en ait donné la preuve dans toutes ses créatures ».
Beauté de Dieu, et l’homme est l’image de Dieu. Certes, il n’y a que le Christ qui sera l’image parfaite, l’icône de Dieu, resplendissante de la plénitude de la divinité, saint Paul l’aura rappelé aux Colossiens ; et le reflet de cette beauté que portent les humains est parfois, disons, introuvable à nos yeux, mais le plus souvent mélangé, moins assuré, moins évident. Ça ne semble pas être le cas pour le jeune David. Et pourtant, il n’a rien d’une vedette, d’une star dans sa perfection aseptisée et idéale. C’est pour cela que nous ne dirons pas que ce gars de Bethléem est séduisant, parce que, en fait, sa beauté nous le rend attachant. C’est tout autre chose.
Car en effet le portrait que nous avons de David n’est en rien idéal, nullement idéalisé. La Bible est loyale, elle met cartes sur table, et nous ne pouvons pas oublier que David a fait froidement assassiner le mari de sa maîtresse d’une nuit – la rayonnante Bethsabée, femme d’Uriah le hittite, et il suffit de regarder le tableau de Rembrandt qui est au Louvre, cette majesté de la chair en sa puissance de séduction indiscutable : on comprend David, sans l’excuser pour autant, mais on remarque aussi comme une mélancolie dans le regard, et puis cet abandon de la main, cette lassitude sevrée de jouissance… David, en proie à la fureur sensuelle, ne l’a pas perçu, mais Dieu n’a pas admis ce débordement de toute-puissance qu’un homme se croit permis parce qu’il a en main le pouvoir. Faiblesse des rois et des souverains…
Cela, c’est le côté lamentable de David, ce n’est pas un ange, c’est un homme, c’est un pécheur. Et c’est pour cela que sa beauté nous touche : il ne ment pas, il ne triche pas, sa franchise est entière devant son Dieu. Et souvent aussi devant les hommes. Tenez, à deux reprises, le voilà pourchassé (« comme une perdrix », c’est sa propre expression) par Saül, le roi qui l’avait pourtant engagé, mais que voilà saisi par le poison de la jalousie et qui cherche à le tuer, parce qu’il voit en David un rival. Par deux fois, David se trouve dans une situation étonnamment favorable où il aurait pu éliminer ce Saül qui en veut à sa vie – et ce serait une légitime défense ! D’ailleurs, il n’aurait qu’à laisser faire ses compagnons qui lui régleraient son compte, à ce Saül qui les piste et les poursuit dans les montagnes, et – ils le disent bien – n’auraient pas « à s’y reprendre à deux fois ».Mais non, David les retient, il ne veut pas profiter de cette situation pourtant si avantageuse ; et il s’en explique, « je ne porterai pas la main sur le messie du Seigneur ». Saül a beau être malade avec son psychisme perturbé en ses accès de folie et de délire meurtrier, il n’en reste pas moins le roi, celui qui a reçu l‘onction du Seigneur, en hébreu messiah, le Messie.
La raison invoquée par David pour justifier son comportement témoigne de sa loyauté, et même de sa générosité : il sera le roi, le berger d’Israël, il le sait, puisque Samuel lui a donné l’onction royale et sainte « au milieu de ses frères », il a été choisi par Dieu, et les choix de Dieu, saint Paul le redira aux chrétiens de Rome, sont sans repentance. Comment ne pas nous le rappeler, nous qui, baptisés, sommes choisis, élus par Dieu qui nous « a fait passer des ténèbres à son admirable lumière » ?
Et donc, puisque Dieu l’a choisi, cela viendra, il saura attendre. David a l’intelligence du temps, il saura saisir quand ce sera le moment vraiment favorable, le kairos comme dit saint Paul ; et non pas la première opportunité venue, l’aubaine sur laquelle on se précipite pour en profiter, alors que ce n’est pas forcément l’occasion favorable.
David, c’est l’intelligence du temps, de la scansion du temps, de la durée et de ses rythmes : pas le « tout, tout-de-suite », ce qu’on appréhende immédiatement. Et de surcroît, il a raison, c’est de bonne sagesse, car s’il assassinait celui auquel il succéderait ensuite, même avec d’excellents motifs…, n’empêche, à s’emparer ainsi du pouvoir, sa légitimité pourrait en être fragilisée et contestée – ce qui ne manquera pas d’arriver d’ailleurs, avec la famille et les partisans de Saül qui mourra au combat face aux Philistins, ennemis héréditaires d’Israël.
David, c’est faire confiance à son Dieu. Et ce n’est pas calcul cynique ou machiavélique, c’est la foi d’un croyant qui s’en remet à son Dieu, mais qui n’en agit et n’en décide pas moins ! (Et nous savons ce que c’est, aussi bien vous, mes chers catéchumènes, que nous autres, baptisés, puisqu’en ces temps d’épidémie, tout ce que nous avions prévu et qui nous réjouissait, va se trouver sans doute chamboulé dans les jours à venir !) Notre David a de l’allure, ne trouvez-vous pas ? à ainsi risquer le danger plutôt que de hâter l’heure où ce qu’il demande lui sera donné. Force d’âme, parce qu’il se sait l’élu de Dieu, et c’est par Dieu, et non par ses propres moyens, qu’il recevra ce qui lui est promis.
Voyez-vous, une telle harmonie entre la ferme disposition intérieure et l’action, le comportement actif, c’est cela que nous appelons Beauté, et la sagesse biblique a su la célébrer et en faire l’éloge. Car, pour cette sagesse, ce qui est vertueux, ce qui est noble et magnanime d’une part, et ce qui est utile et profitable d’autre part, loin de s’opposer, vont de pair. Notre esprit moderne qui se veut critique a tendance à n’y voir que calcul pratique et habileté politique. Nous oublions, aveugles que nous sommes, autant que les pharisiens de l’Évangile devant l’impensable guérison de l’aveugle de naissance opérée par Jésus, nous oublions la grâce d’une attitude et la beauté d’un geste. Pour dire simplement, Abraham, c’est la vérité vraie, Moïse, c’est la bonté du bien, David, c’est – alliance des deux – la Beauté.
Et ajoutons qu’à juste raison, la Bible sait que le fourbe, le traitre, celui qui fomente le mal et active la malversation, verra le mal se retourner contre lui, un jour ou l’autre.
Beauté de David, redisons-le, et qui explique pourquoi il est le Bien-Aimé de Dieu qui l’a choisi et qui ne renie pas son choix, même quand David n’échappe pas à sa faiblesse, quand il cède à ses pulsions de toute-puissance, exacerbée de convoitise quand il se trouve, un soir de printemps, face à l’effrayante beauté de Bethsabée. Et David est beau dans sa repentance, il reconnaît : je suis ce que je suis, je ne suis que ce que je suis, un homme, un pécheur qui s’en remettra à son Dieu.
Bien-Aimé de Dieu, David n’est pas moins bien-aimé des femmes. Oh ! Dieu sait, elles ne lui ont pas manqué, elles l’ont toujours aidé et servi, déployant toutes leurs ressources de ruse et d’intelligence pour le préserver du danger ou lui épargner de tomber dans l’impardonnable. Lisez pour cela le stratagème de Mikal, fille de Saül, en 1 Samuel 19, ou, plus rouée encore, Abigaïl, au chapitre 25 : ces dames sont époustouflantes d’astuce et de finesse !
Toute la vie de David aura eu un épicentre, le Temple. Le Temple, ce sanctuaire qui sera le réceptacle de l’Arche d’Alliance, le lieu de la divine Présence, David avait voulu le construire, mais c’est son fils Salomon, l’homme de la paix, qui le bâtira et mènera le chantier à terme ; David, lui, s’en voit empêché par Dieu, parce que, farouche guerrier qu’il était, lui, David, est « un homme de sang ». Et celui qui sera bien plus tard acclamé comme « fils de David » lorsqu’il fait son entrée dans la Ville sainte Jérusalem, Jésus de Nazareth, le Messie de Dieu, entre dans le Temple – nous en ferons mémoire intérieure, le jour des Rameaux – et il y fait le grand ménage. Radical : « Détruisez ce sanctuaire, en trois jours je le rebâtirai ». Et saint Paul, toujours lui, en tire la conclusion logique quand il nous affirme à nous comme à ses paroissiens de Corinthe : « Le Temple de Dieu est sacré, et ce Temple, c’est vous, car votre corps est le temple du Saint-Esprit ». Raison pour laquelle, chers catéchumènes, vous recevrez lors de votre baptême, l’onction de la chrismation, la marque du Saint-Esprit, qui fera, de votre corps de chair, le Temple saint, la Demeure du Christ.
Mais il est aussi un autre Temple, presque immatériel celui-là, produit par les hommes, le temple des mots, de la musique et du chant. David est musicien : c’est ainsi, avec sa cithare, qu’il essayait de calmer les accès de folie du roi Saül. Musicothérapie déjà, à l’époque. Mais David surtout a chanté son âme, sa louange, sa détresse, ses aveux, à son Dieu : ce sont les psaumes. Il en a composé quelques-uns, mais on lui a attribué l’ensemble des 150 psaumes. Le psaume, c’est la prière de l’homme qui ne s’esquive pas, qui ne triche pas avec la situation qu’il vit : il est sincère absolument, parfois jusqu’à l’insolence, parfois jusqu’au blasphème : il questionne, il somme Dieu de s’expliquer, mais, à la fin, il laisse toujours de la place… et du temps à son Dieu pour qu’il puisse répondre. Jésus, comme ses disciples, a prié les psaumes – que l’on pense quand, ce jeudi soir, il va à Gethsémani -. Et on comprend qu’aujourd’hui encore nous aimions prier les psaumes pour célébrer les épreuves et la gloire inouïe de Jésus le Messie, le fils de David, avec les mots et la poésie du Roi musicien.
Rueil-Malmaison, 4ème dimanche de Carême (année A)