ÉPIPHANIE – Isaïe 60, 1-6 + Matthieu 2, 1-12
Par le Père François Marxer
« Debout, Jérusalem, resplendis ! Elle est venue, ta lumière, et la gloire du Seigneur s’est levée sur toi ! » De nouveau, Isaïe, et une prophétie, cette fois-ci non pas prophétie d’attente et d’espérance, encore moins une prophétie de malheur, mais une prophétie de gloire. Nous ne sommes plus en 734, au temps du roi Acaz, ce roi si mal disposé à faire crédit au Dieu de l’Alliance, ce roi auquel le prophète avait donné l’heureux présage d’une naissance, naissance d’un héritier qui s’appellerait Emmanuel, ce qui veut dire Dieu-avec-nous. Mais qui, à Jérusalem, avait vibré d’espoir à cette annonce ?
Nous en étions là, juste avant Noël. À présent, nous voilà en 520, toujours avant notre ère. L’eau des fleuves de Babylone avait coulé depuis des générations. Jérusalem avait cru bon de mener sa politique d’indépendance pour finalement être assiégée et détruite en 587. L’élite de la population avait été déportée à Babylone et avait supporté l’épreuve d’un exil d’un bon demi-siècle. Et puis le cours de l’histoire avait changé : les armées perses avaient vaincu Babylone, et le nouveau monarque, Cyrus, salué comme un Messie du Seigneur, avait mis fin à l’exil des déportés. Chacun pouvait retourner sur la terre de ses pères et y pratiquer la religion de sa communauté dans les sanctuaires qui avaient été reconstruits. Retour des exilés en terre d’Israël, un des disciples et successeur d’Isaïe avait salué cet événement si chargé de promesse et d’avenir. En 538, l’on avait restauré l’autel des sacrifices, le culte et la liturgie du Dieu trois fois saint pouvaient reprendre régulièrement ; l’année suivante, l’on avait posé la première pierre du nouveau Temple – celui que connaîtra Jésus avec ses disciples -. Mais l’enthousiasme des commencements s’était vite défraîchi, les travaux n’avançaient guère, les exilés à leur retour se préoccupaient d’abord de reconstruire leur propre demeure, aussi confortable, voire même luxueuse, que possible. Les remparts de la cité restaient en ruine ; le cœur n’y était plus. Et l’on commençait à s’interroger : cette promesse que notre Dieu avait faite à Abraham notre père, que ce serait par lui que seraient bénies toutes les nations de la terre, eh ! Dieu l’avait-il oubliée ? ou ajournée, mais jusques à quand ? Et cette vision que le grand Isaïe nous avait fait saisir, toutes ces nations de la terre venant en pèlerinage à la Maison du Seigneur pour y entendre et recueillir sa Loi qui serait à jamais une règle de vie pour tous, cette vision se serait-elle estompée ?
Perplexité, incrédulité, résignation, incroyance peut-être, gagnaient les esprits. Alors, Isaïe – je devrais dire : un petit-fils spirituel du premier Isaïe, fidèle aux convictions de celui-ci auxquelles il donne une actualité renouvelée – Isaïe reprend le flambeau pour déployer aux yeux de ses contemporains une vision de gloire. Cessez donc d’entretenir votre morosité et de cultiver votre amertume ; « lève donc les yeux et regarde, tous ils se rassemblent, ils viennent vers toi, car les nations qui pataugeaient dans les ténèbres, marchent à présent vers ta lumière ». Comment cela, dis-tu ? Eh bien, « la gloire du Seigneur s’est levée sur toi, et sa gloire à lui va rayonner sur toi », et ce sera ta gloire à toi. « Alors tu seras radieuse, ton cœur aura fini de s’attrister, il frémira et se dilatera », quand tu verras la profusion des richesses de la terre affluer vers toi. Ne sera-ce pas une mondialisation heureuse ?
Ceux qui ont écouté Isaïe et qui ont reçu cette prophétie de gloire, en ont été ragaillardis et ont retrouvé raison d’espérer encore et toujours. Leur imagination s’est emballée à rêver ces trésors de l’univers, or, argent, encens et épices, qui feraient leur bonheur, à eux qui peinaient à mener une vie si souvent chiche et austère ! Peut-être y en eut-il quelques-uns, peu nombreux, qui furent plus sensibles à cette vision universelle qu’Isaïe allait leur développer : les frontières étroites de notre petit royaume éclataient, c’était toutes les nations et les peuples du monde qui convergeaient vers la Ville Sainte, resplendissante d‘une vérité lumineuse. Telle serait la gloire de Jérusalem et du peuple saint qui vivait en ses murs…
Cette grâce, Marie, qui venait de mettre au monde le Sauveur des hommes, l’avait vue débarquer dans sa modeste maison, quand étaient entrés ces princes étrangers, savants et chamarrés. Mais est-ce cela, la gloire ? ces atours pimpants ou ces savoirs impressionnants ? En 1952, Marie Noël, notre chère Marie Noël, une fois encore attristée et morose, « arrive à la Crèche, les mains vides. Je suis défaite, je suis détruite. Plus rien à donner à Dieu. Je suis bien honteuse… j’entre quand même. » Écoutons-la :
« Mais voici la Mère et l’Enfant qui s’amusent à me donner, eux, ce que leur ont offert les Mages…..
– un grain d’encens…. ‘’Je n’en veux pas ! – Je n’aime pas l’odeur de l’encens, elle me gêne, elle m’entête, elle m’empêche de respirer le grand air sauvage. S’il vous plaît de me faire un don, la myrrhe me convient mieux.
– Accepte l’encens. Apprends de nous, aujourd’hui, l’humilité de la gloire. Accepte cet honneur de rien qui rien n’ajoute ni rien n’ôte à ta misère humaine, comme l’Enfant accepte aujourd’hui cette misérable fumée d’homme qui rien n’ajoute non plus à sa grandeur divine… »(1)
Ainsi voilà Marie Noël invitée – et nous avec elle – à rester lucide quant à la gloire dont les humains aiment à se parer, « ce quart d’heure de célébrité » pour lequel, si nous en croyons Andy Warhol, beaucoup seraient prêts à tout sacrifier pour l’obtenir. Marie Noël ne s’y est pas trompée : « La gloire, constatait-elle, cette rumeur de la poussière, ce vent de mensonge dans la solitude qui vous fait croire qu’un homme – un monde – s’est levé au loin pour vous sauver […] La renommée n’est qu’un malentendu qui se propage, un mensonge qui s’étend ».
Mais nous ne serons pas dupes. Mais alors, qu’est-ce que la gloire véritable, la gloire vraie, celle qui ne ment pas, qui ne triche pas ? Celle qui rayonnera de Jérusalem, la Ville Sainte, et qui fera la gloire de son Dieu ? Celle qui n’est pas moins celle de ces « mages venus de l’Orient » et qui est bien autre chose que l’éclat de leur accoutrement précieux et somptueux et que la réputation de leur dignité.
Eh bien, je me dis que ce qui fait la gloire de ces étrangers, c’est leur humilité et leur décision. Je m’explique : leur humilité, oui. Car ce sont des savants, et professionnellement des savants, des experts en astronomie et dans l’interprétation des phénomènes célestes. Ils ne vont pas se hausser du col pour autant, ni en tirer gloriole, mais ils ne feignent pas d’être des ignorants. Ils ont leurs compétences, ils en savent les capacités, mais aussi les limites. Ils ne vont pas faire semblant ni dans un sens ni dans l’autre.
Ils n’ont à leur disposition que des indices : un astre, dont ils interprètent une position significative. Ils se laissent interroger par le Livre de la Nature, comme, pour compléter leur information, ils se laisseront instruire à Jérusalem, par le Livre des Écritures que les scribes experts vont leur interpréter : «Où est le roi des Juifs qui vient de naître ? Nous avons vu son étoile… » Réponse des savants du texte : « À Bethléem de Judée… »
Ils auraient très bien pu rester chez eux, bien tranquilles, et classer le dossier. Mais non ! ils prennent la décision de se risquer à cette aventure, à partir d’un indice assez faible et intermittent, semble-t-il. Ils décident de chercher la vérité de cette énigme et de la trouver. Et ils savent se faire aider. Rien ne les y obligeait, sinon la passion de la vérité.
Et je dirai que c’est la même chose pour les bergers de la nuit de la Nativité : le fait surprenant leur est annoncé, des indices – maigres – leur sont fournis : « un nouveau-né emmailloté, couché dans une mangeoire ».Ils choisissent, ils décident, ils agissent : c’est cela qui fait la gloire de l’homme.
Joseph tout autant, puisque, contrairement à sa première et juste intuition, il décide de prendre Marie son épouse, car il croit que Dieu est toujours plus grand et que son Bras est toujours plus fort. Et Marie décide son oui – son fiat – de pleine dignité en réponse à la pleine surabondance du oui de Dieu à la vie des hommes.
Et concluons avec Marie Noël : ainsi, comme, en Jésus, est manifestée «la splendeur de Dieu », est manifestée « en toi, l’infime lueur de Dieu qui doit aller de toi aux hommes ». Choisis, décide et agis : ce sera ton grain d’encens de presque rien à la gloire de Dieu.
- Cf Notes intimes, édition Stock 1998, pages 192-193
Rueil-Malmaison, Saint-Pierre / Saint-Paul et Notre-Dame de la Compassion
4 et 5 janvier 2020