Au-delà des guerres et de la désolation, paix et bonheur – Isaïe 2,1-4
Par le Père François Marxer
Isaïe chapitre 2, versets 1 à 4. Nous voilà au VIIIème siècle avant Jésus-Christ. Oh ! je vous arrête, Monsieur l’abbé – d’autres diront : mon Père, permettez…. – mais on n’a que faire de toutes ces vieilleries, ça sent l’archéologie et, comme on sait bien que vous êtes un intellectuel (comme on dit), on se dit que ça doit bien vous plaire. Mais nous, eh ! on vit au XXIème siècle, près de trente siècles après. Et puis, au fond, il n’y a que Jésus-Christ et son évangile qui nous intéressent, l’évangile qui respire le vrai Dieu, le Dieu de tendresse et de miséricorde, tandis que dans votre ancien Testament – le bien-nommé -, ce n’est que carnage et violence, et un Dieu brutal, irritable et dont on ne peut que se méfier…
Vous croyez ça, mes agneaux, l’Ancien Testament – si mal nommé, il est vrai : on devrait plutôt dire le Premier Testament – eh bien, ce n’est pas ce que vous croyez. Et justement, Jésus-Christ à qui vous donnez la primauté – et là, vous avez bien raison -, ce n’est pas un électron libre, un aérolithe qui débarque comme ça, un beau jour, au milieu de nos histoires humaines, et puis qui, trente ans après, pffffuit, fait ses valises pour plier bagage. Non, il prend place dans une histoire, dans une généalogie, une famille humaine – et ce n’est pas du tissu de luxe ou de la soie brodée, non, c’est du vulgaire, de l’ordinaire ; c’est de la bonne toile humaine, rude et rêche, mais solide ; sans doute pas toujours reluisant, la morale n’y trouve pas toujours son compte, mais les hommes font ce qu’ils peuvent dans le monde tel qu’il est, pas un monde rêvé, mais un monde blessé ! Et c’est le terreau où il a puisé sa sève…
Et c’est pour ça qu’il vaut la peine de lire et de relire ce Premier Testament, ces prophètes, pour voir comment Dieu s’est débrouillé dans ce charivari de catastrophes et où il y a bien peu d’embellies. Et tiens, justement, au VIIIème siècle, un désastre en deux temps qui met tout sens dessus dessous : un séisme d’abord, et, si ça ne suffisait pas, une invasion, un peu difficile à dater : 734 ? 722 ? 701 ? – ce serait à préciser, et on tremble de voir arriver ces sbires sans pitié, sans foi ni loi, massacreurs insatiables ; et là, tout soudain, on repense à Dieu – oh ! on l’avait un peu oublié quand la vie allait comme sur des roulettes, on ne s’en préoccupait guère, ni des règles de vie et des chemins qu’il nous traçait. Après tout, on avait de la jugeotte, alors autant nous conduire à notre guise ! Isaïe nous l’a rappelé à maintes reprises, vous êtes des infidèles, vous ne respectez pas le contrat de l’Alliance. Vous voulez le bonheur et la prospérité et vous n’en faites qu’à votre tête ! Vous dites : Dieu ? tu parles, on sait faire aussi bien ; et même on s’en fabrique, des dieux, autant que tu veux ! Et des dieux intéressants, puisqu’ils nous ressemblent. Tu nous dis que c’est de la supercherie, que ce sont des idoles. Si tu veux, mais tu vois bien que ça marche. Enfin, jusqu’au jour où tout s’effondre.
Et tu nous dis que ces malheurs qui nous tombent dessus, c’est Dieu qui réagit, qu’il n’admet pas d’être caricaturé par nos sornettes, et encore moins que nous soyons défigurés par notre orgueil à nous prendre pour des dieux. Voilà, les temps sont bien sombres et Isaïe ne nous fait pas de cadeaux. Il y a de quoi désespérer et on ne sait pas comment on va s’en sortir.
Mais heureusement, à quelque temps de là, un de ses disciples, très proche, s’est dit : c’est vraiment trop lourd, décourageant. Allons, il faut être plus perspicace encore pour pénétrer et comprendre les profondeurs de ce qui nous arrive, voir les choses de plus haut et de plus loin pour mieux saisir ce que nous vivons. Et ce génial disciple, dans la foulée d’Isaïe, a inséré dans ce tissu de catastrophes et d’avertissements qui nous déprime, le petit joyau – oh ! pas grand-chose : 4, 5 versets, pas plus !- d’une vision de promesse, de quoi nous remonter le moral.
Une vision, oui, car Isaïe est un voyant, comme Jean le sera dans l’Apocalypse qui porte son nom. Isaïe, que ce soit le maître ou le disciple, scrute les abysses du temps que nous vivons, d’autant mieux que, de ses yeux de chair, il a vu le Seigneur de l’univers, entouré de sa cour de Séraphins brûlants, dans la majesté de son Temple dans la Ville sainte. Et c’est avec une même acuité qu’il déchiffre les secrets de l’avenir comme il a regardé le désastre de notre présent. Nous aussi, au fond, au XXIème siècle, on en est un peu là : toutes ces catastrophes qui s’enchaînent, toutes ces crises qui s’emboîtent, on voudrait crier grâce – mais rien n’y fait ! pas de grâce ! – toutes ces transgressions de ce qui est quand même l’évidence de notre condition humaine, nos limites inévitables, celles des générations qui se succèdent et celles des sexes qui se distinguent…
….. On ne le voit que trop bien, mais on ne sait plus comment hurler pour que chacun
ouvre les yeux et regarde en face au lieu de bricoler la vie comme des gamins irresponsables…
Du coup, on ne songe même plus à regarder l’avenir, on est tétanisé par le présent, et pourtant… Et pourtant, il y aura un grand chamboulement, la géographie ne s’y retrouvera plus : il arrivera que la montagnette de la maison du Seigneur sera surélevée au-dessus des plus hautes montagnes : tu te rends compte ? une taupinière comparée à l’altière fierté de l’Hermon ou du Thabor. Les collines rabotées : on a compris, tous ces petits monticules orgueilleux, ce sont les humains orgueilleux, rabaissés , raplapla… Enfin, tout revient à sa vraie hauteur.
Quand tout sera ainsi bien calé, bien en place, les pèlerinages reprennent, pas seulement pour Israël, mais pour tous les peuples qui viennent dans la maison, dans la demeure du Seigneur – au fait, l’avez-vous remarqué ? la demeure, la maison, cela doit être important puisque le mot est répété trois fois en quatre versets seulement… Et ils viennent, non pour des sacrifices, comme on aurait pu croire, mais pour recevoir un enseignement. Pas du cérébral, mais des sentiers, des chemins de vie, savoir comment se conduire dans l’existence. Du pratique, c’est ça, la Loi, la Torah qui sort de Sion.
Sion, si j’en crois la grammaire, c’est une figure féminine, et il y aura bientôt en même temps une figure masculine dans la personne du Serviteur : avouez qu’Isaïe a bien agencé les choses. La Loi sort de Sion, comme plus tard, chez Ézéchiel, un fleuve de vie sort de la demeure du Temple, pour irriguer la terre stérile et susciter une abondante fructification.
Enseignement pratique, avons-nous dit, et immédiatement opératoire, puisqu’on arrête de se faire la guerre. La guerre qui est, pouvons-nous l’oublier, ce plaisir mauvais auquel les hommes succombent souvent puisqu’ils goûtent la Zerstörunglost, la joie de détruire. Une jouissance perverse que nous avons réussi à décupler de nos jours, en améliorant sans cesse nos terrifiants jouets de destruction massive.
Et là, j’entends le propos ironique de ceux qui ne manqueront pas de dire ou simplement de penser : ouais ! tout ça, trop beau pour être vrai, c’est de la pure utopie ! et en tout cas dans la réalité, c’est un fameux risque si vous l’appliquez. Certes oui, c’est un risque, parce que l’espérance n’a jamais été un paquet-cadeau dans un baril de lessive ! L’aurez-vous remarqué, avec cette fin des hostilités, nous retrouvons l’état du monde tel qu’il était sorti des mains créatrices de Dieu, et Dieu avait jugé que tout ce qu’il avait fait, était bon, et même très bon. Nulle violence n’y régnait, le sang ne coulait pas, et – là, le L 214(1) aurait été content -, l’alimentation de tous était végétale : régime végétarien ou vegane, comme on voudra. Mais plus important encore : qu’il n’y ait plus de guerre, cela veut dire que les vivants seront profondément transformés, ils ne sont plus tenaillés par l’envie et le désir de s’emparer du bien des autres et chacun, ayant renoncé à se comparer, se réjouira des autres et de ce qu’ils sont comme ils sont. C’est dire que notre naissance, la vraie, n’est pas dans les lointains du passé, mais qu’elle est en avant, qu’elle nous attend, que nous attendons d’être – enfin ! – « enfants de Dieu ». Pour cela, entraînons-nous, nous tous chacun, à marcher à la lumière du Seigneur, à nous hâter vers l’endroit de sa Naissance à lui, qui n’est pas moins celui de notre naissance à nous. Ces métèques de bergers y sont bien arrivés dans la nuit de la Nativité, alors pourquoi nous n’y arriverions-nous pas, nous aussi ?
Rueil-Malmaison, 1er décembre 2019
Saint-Pierre-Saint-Paul /Notre-Dame de la Compassion
1er dimanche de l’Avent (année A)
Note du copiste : L 214 est une association de protection animale œuvrant pour que soit reconnue la sensibilité des animaux et abolies certaines pratiques d’élevage et d’abattage. « L 214 » se rapporte à l’article L 214 du code rural qui, en 1976, reconnaît pour la première fois que les animaux sont des êtres sensibles.