Un supplément de foi ? – Luc 17,5-10
par le Père François Marxer
« En ce temps-là, les apôtres dirent au Seigneur… » Ah ! les revoilà, ceux-là, il y a belle lurette qu’on ne les avait pas entendus. Leur dernière prise da parole, c’était au chapitre 9 – et ce jour d’hui, là, nous sommes au chapitre 17 !- Au chapitre 9, « ils avaient raconté tout ce qu’ils avaient fait », car Jésus les avait envoyés en mission, comme ambassadeurs, annoncer, « proclamer le Règne de Dieu ». Et puis, Jésus les avait pris à partie, et de leur demander tout à trac : « Les gens, qu’est-ce qu’ils disent de moi ?… Et vous, que dites-vous ? pour vous, qui suis-je ? » Et Simon Pierre avait brûlé la politesse aux autres : « Tu es le Christ de Dieu », qu’il avait dit… Et puis après, silence radio ! Là-dessus, c’étaient les 72 disciples, envoyés aussi pour confirmer : « Le Règne de Dieu s’approche » (10,9), et ils en avaient été les témoins étonnés et éblouis, et aussi un peu les acteurs, c’est eux qui s’étaient trouvés au premier rang de la scène.
Pendant ce temps-là, les apôtres ont suivi silencieusement, ils ont écouté sagement les paraboles, réconfortantes comme la brebis perdue, étonnantes comme le fils perdu, époustouflantes comme le gérant habile et malhonnête, pas rassurantes du tout comme le riche et Lazare ; ils n’avaient pas bronché, mais là, maintenant, quand Jésus vient de dire : « Prenez garde à vous-mêmes ! Si ton frère a commis un péché, fais-lui de vifs reproches, et, s’il se repent, pardonne-lui ; même si, sept fois par jour il commet un péché contre toi, et que sept fois de suite il revienne à toi en disant ‘’Je me repens’’, tu lui pardonneras »… Alors là, c’est un peu fort, il met la barre trop haut. Si bien que les apôtres, très réalistes et terre à terre – tant mieux : comme ça, on les comprend – demandent au Seigneur : « Augmente en nous la foi », car, on ne le sait que trop bien, on n’en a vraiment pas beaucoup, ouais, on n’en a pas bezef !
Et le Seigneur de leur répondre : « Ah ! si vous en aviez gros comme une graine de sénevé… ». Le sénevé, ou la moutarde, c’est pareil : la plus minuscule des graines potagères, autant dire presque rien, c’est infime. Presque rien, mais voilà : ce rien, ce n’est pas rien ; eh ! il y a de la puissance dans ce rien qui paraît pas grand-chose. Ce presque rien, c’est une promesse de plénitude, tu connais la parabole : cette graine de rien du tout, tu la plantes en terre et ça devient un arbrisseau foisonnant, presque un arbre où les oiseaux du ciel viennent nicher dans ses branches. Disproportion, résultat inattendu : tu comprends alors que je ne veux pas t’encourager à la paresse ni à la tiédeur et que tu te contentes de ce petit peu de pas grand-chose…
Je te l’ai dit : disproportion. Tiens, avec ce tout petit peu de foi que tu voudrais bien avoir, tu dirais à ce sycomore que voici – tu vas voir, un peu plus tard, que le sycomore, c’est l’arbre dans lequel ce nabot de Zachée a grimpé, le cœur battant, pour voir Jésus qui passait par là – et le sycomore est réputé indéracinable, tu le sais bien ! eh bien, tu lui dirais : « Déracine-toi, et va te planter dans la mer », il t’aurait obéi.
Oui, ça, c’est du grand spectacle. Impressionnant, mais ça ne sert à rien, de l’esbroufe. Au fond, quand même, c’est un défi aux lois bien installées où les choses sont bien en place et où rien ne bouge. Il y a de l’excès dans ce que nous dit Jésus, de l’exubérance. Saint Matthieu, lui, dans le passage parallèle (17,20), dira que c’est une montagne à qui on ordonnera de se jeter dans la mer ; là, c’est utile, les entreprises de travaux publics doivent se dire : eh bien, parfait ! ça va nous faciliter le chantier de la ligne Lyon-Turin…
… Mais ici, avec le sycomore, c’est gratuit, c’est pour la gloire (ou la gloriole), c’est vraiment pas utile.
Consternés, ils sont, on le devine. Et derechef Jésus de prendre la parole, et de passer en revue l’emploi du temps d’un serviteur ordinaire. La charge est lourde – c’est un peu comme maître Jacques qui est à la fois le cuisinier, le cocher et le majordome d’Harpagon, l’avare de Molière. La charge est lourde, et on n’invoque pas le motif de la pénibilité dans le travail. Le maître n’est guère compatissant – il ne donne pas dans le social, ce patron-là, mais le serviteur ne s’en offusquera pas : je reviens des champs, et maintenant, à la cuisine et servir le repas de Môssieur. Il ne se plaint pas, c’est normal, c’est conforme aux usages. Pourquoi râlerait-il, pourquoi revendiquerait-il ? C’est la condition ordinaire des serviteurs ordinaires, et il sait qu’il est tel.
Au fond, il est conforme à lui-même, et en cela, il ressemblerait au gérant malhonnête d’il y a quinze jours, qui, lui, avait horreur de travailler et de faire des efforts, mais qui était épris de sa liberté et faisait tout pour la conserver. Ce gérant, lui aussi, conforme à lui-même, mais différemment bien sûr !
Ordinaire : oui, ce serviteur ne cherche pas la vedette, ni à tirer gloire ou avantage de sa persévérance. Il accomplit son devoir, et il s’estime quelconque, ordinaire. On traduit parfois ‘inutile’. Ouais, si l’on veut, car s’il ne se mettait pas en cuisine, le maître n’aurait pas grand-chose dans son assiette, ma foi ! Ce serviteur fait des tâches utiles, mais rien qu’utiles, pas spectaculaires du tout. Alors que vous, les apôtres, avec votre tout petit peu de foi augmentée, vous aimeriez bien faire des choses épatantes, démonstratives. De la vitrine, mais totalement absurde : un sycomore dans la mer, mais qu’est-ce qu’on en a à faire ?
Ils demandent : ah ! si seulement.. Et Jésus de répondre – on entend son soupir ironique ou même exaspéré : si vous l’aviez… ? mais qu’est-ce que vous en feriez ? À quoi ça vous servirait ? Du grand spectacle pour épater les foules ? Tu jouerais à l’apprenti-sorcier, alors que, regarde ce serviteur qui tâcheronne comme un paysan besogneux : pour lui, la règle, ce n’est pas sa satisfaction – sauf celle du travail bien fait – ce n’est pas son bon plaisir, ni sa jactance. Et toi tu as un peu de foi, juste le minimum syndical que tu me dis, tu voudrais une augmentation : pourquoi ? pour la frime ? pour le pouvoir ? pour la jactance ?
La foi, vois-tu, ce n’est pas un capital, c’est une relation. Et donc, ça ne s’augmente pas, ça s’entretient. Inutile de faire des comptabilités, de toute façon ce n’est pas coté en Bourse. C’est la persévérance, la foi, la persévérance à ce qui se doit, autrement dit faire Sa volonté : tu le dis bien dans le Notre Père : « Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel ». Alors, maintenant, à l’ouvrage !
Rueil-Malmaison, Sainte-Thérèse
5 octobre 2019
27ème dimanche du temps ordinaire (année C)