Pentecôte – Jean 14, 15-26
Par le Père François Marxer
Jean, chapitre 14. Pour peu que votre attention ne soit pas distraite, peut-être vous êtes-vous dit : « Mais ça, on l’a déjà entendu, et il n’y a pas si longtemps que cela ! » Exact, C’était, à peu de choses près, l’évangile d’il y a deux dimanches. Alors, imaginez l’embarras du prédicateur. Bien sûr, il pourrait recourir à la facilité et resservir sa préparation d’il y a quinze jours en l’améliorant ; mais je sais qu’il n’y a guère que la choucroute qui soit bonne réchauffée.
Je vais donc scruter le texte avec application et je remarque qu’il y a deux verbes qui reviennent avec insistance : garder et demeurer. Garder, voilà, qui nous découvre la fidélité d’une vigilance, un souci attentif de ne pas laisser perdre, de ne pas égarer ou dilapider. Demeurer, voilà qui respire une stabilité solide et fiable ; la demeure, n’est-ce pas ? nous dessine cette maison où on est en sécurité, à l’abri et protégé, et même mieux encore, où l’on est bien, où l’on goûte le bien-être partagé souvent avec d’autres proches, eh oui ! on est chez soi !
Demeurer, une demeure : si nous avons bien compris l’évangile, voilà qui nous dit, qui nous instruit de quelque chose du mystère de Dieu lui-même : le Fils demeure dans le Père, comme le Père lui-même demeure dans le Fils. Pas moyen de mieux dire leur unité profonde sans pour autant que l’on aille tomber dans la confusion, ce qui serait regrettable même si, au premier coup d’œil, un peu superficiel, cela nous semblerait arranger les choses. Non, le Père et le Fils ne sauraient être confondus, l’un n’est pas l’autre et réciproquement.
Et on ne s’en tiendra pas là : demeurer, la demeure, c’est finalement le résultat d’une combinatoire, car le Fils demeure en nous, en chacun de nous, et pour peu que notre fidélité soit acquise au souci de la Parole – nous garderons la Parole, le Verbe de Dieu, alors le Père qui nous aimera viendra avec le Fils demeurer auprès de nous, ils viendront demeurer chez nous. Et j’ai envie d’ajouter : peut-être que ça les arrange, l’un et l’autre, car au moins, dans ces disciples que nous sommes tant bien que mal, ils trouveront une hospitalité favorable, accueillante, bienveillante, chaleureuse même qui sait ?, et au fond ça leur permettra de mieux vivre encore, de mieux apprécier leur réciprocité d’intimité. De la mieux vivre, puisqu’ils la pourront partager.
On pourrait bien sûr en rester là, et se dire que, ma foi, tout cela est acquis et il n’y a pas trop besoin de s’en faire. Sauf que, l’endurance n’étant pas notre fort, notre fidélité, certes pleine de bonne volonté, connaît des fléchissements, des alanguissements. Oui, notre fidélité, notre foi pour tout dire. Je dis bien notre foi, je ne parle pas de croyance qui, elle, peut être ondoyante, aléatoire ou alors à l’inverse, bétonnée comme le mur de l’Atlantique, impénétrable – et qu’est-ce qui en reste ?…
Notre foi est parfois bien vaporeuse, à en devenir un sfumato, une vapeur d’encens, un enchavirement de l’âme, mais pas plus !… Non la foi vraie est persévérante, on marche, on est d’accord, on dit O.K. sur toute la ligne, même quand on est dans le brouillard ; mais à marcher ainsi, à la longue on se fatigue, oui, de l’usure, de l’érosion de cette énergie qui se dépense au long des jours et des années sans véritable éclaircie, alors, qui sait ?, à la fin, peut-être la perte purement et simplement ?
Ou alors, ça dérive, on s’égare. Pas tellement à se risquer dans des sentiers, dans des contrées inexplorées (ah ! si seulement !…), mais tout l’inverse : on se construit une casemate intérieure avec barbelés et champs de mines pour qu’on ne soit pas dérangé, et comme ça on pourra végéter entre soi et se dessécher entre copains, et après, crever la bouche ouverte, alleluja !
Tout cela, Jésus ne l’ignore pas : faibles nous sommes, et fragiles ô combien, paresseux parfois et partant à la dérive. Alors il va nous donner un signalé coup de pouce pour nous sortir de l’impasse où nous sommes tentés de nous fourvoyer à flétrir ainsi sans remède (alors que, puisque baptisés, nous sommes immarcescibles ! rendez-vous compte !)…..
…. Oh, ce secours d’urgence, il a une diversité de noms, mais sa fiche signalétique est claire, pour qu’on ne s’y trompe pas : l’Esprit-Saint, le Souffle de sainteté, Souffle vivifiant ; on le connaît aussi comme le Paraclet, autrement dit, le Défenseur, l’Avocat qui vient à la rescousse quand nous sommes en difficulté dans le monde des hommes qui ne nous font pas de cadeau. On dit aussi de lui qu’il est le Consolateur :
Consolator optime,
Dulcis hospes animæ,
Dulce refrigerium…(1)
Consolation : c’est là une des préoccupations maternelles (eh oui ! maternelles) du Père. Il suffit de relire Isaïe : « Comme un enfant que sa mère console, ainsi je vous consolerai, oui, dans Jérusalem vous serez consolés, vous verrez et votre cœur se réjouira, et vos os revivront comme l’herbe reverdit », cette prophétie que notre sainte patronne, la petite Thérèse, aura tant aimée et appréciée. Sans parler du psaume 130 que ma mère, vous allez le comprendre facilement, chérissait tant : « Je tiens mon âme égale et silencieuse ; mon âme est en moi comme un enfant, comme un petit enfant contre sa mère… »
Être consolé, c’est toujours bienvenu, nous connaissons tant de déboires, tant de déceptions – et cela, dès qu’on est gamin ou gamine – ; et puis notre vie intérieure, quand on est devenu une Grande Personne, si souvent sèche : c’est la désolation qui est notre breuvage quotidien. La consolation, voilà qui nous fait du bien, ça permet de supporter la vie qui est plutôt austère au fond (et c’est pour ça qu’on cherche à s’en divertir, autant rater une marche d’escalier, patatras ! je ne vous dis pas la suite !…). Oui, de la douceur, nous en avons besoin, et le Saint-Esprit délègue pour cela des frères et des sœurs qui assurent ce ministère de la consolation, le Saint- Esprit prépare le remède et eux seront les apothicaires préposés à notre service : écouter d’abord, écouter avant toute chose – et ce n’est pas facile, loin de là !- et non pas pour convertir, pour ramener à l’Église ceux qui viennent bredouiller leur détresse – non, on ne va pas jouer au pasteur évangéliste américain ! – mais pour qu’ils reviennent, chacun à soi-même, comme s’ils avaient perdu connaissance pendant tant et tant de mois, de semaines ou même d’années !…
Au fond, le Saint-Esprit, c’est un peu comme ce que le psychanalyste anglais Winnicott appelait l’objet transitionnel, ce qui rassure le tout-petit dans les frayeurs de la vie. Ainsi, quand j’étais tout petit, je ne pouvais bien m’endormir que si j’avais à portée de main mon nounours (il avait un pull-over vert printemps), et, quand Maman m’avait béni et qu’elle avait fermé la lumière, il faisait tout noir, mais j’étais rassuré !
Notre âme qui se désole et qui a peur. Et puis il y a aussi notre mémoire qui flanche. Le Saint-Esprit, c’est le disque dur des archives de notre vie avec le Père et avec Jésus. Panique ! on ne se souvient plus, dommage ! ça nous réconforterait, mais lui, le Saint-Esprit, il nous fait ressouvenir, ah ! oui, ça a beuggé, on s’est planté, mais pas grave, tout n’est pas perdu. Ça, je le glisse tout particulièrement aux époux qui sont divorcés et remariés : avant tout, choisissez la vie. Et c’est valable pour tout le monde : arrêtez de rancir dans vos échecs, ils sont bien là, c’est vrai, mais arrêtez de vous dénigrer. De dénigrer les autres aussi d’ailleurs. Ne vous fiez pas à votre mémoire mauvaise si injustement sévère. Branchez-vous sur la bonne mémoire du Saint-Esprit qui ne va pas vous cataloguer ni vous figer dans une case. C’est une mémoire vive qui conserve mais qui sait faire le tri et le nettoyage de temps à autre, c’est une mémoire qui emmagasine le meilleur et sans cesse renouvelle. La consigne alors, je la reçois de sainte Élisabeth de la Trinité, Élisabeth de Dijon : « Que le Dieu tout Amour soit votre demeure immuable […], rappelez-vous qu’il demeure au centre le plus intime de votre âme comme en un sanctuaire où sans cesse il veut être aimé jusqu’à l’adoration ».
(1) note du copiste : extrait d’une séquence naguère chantée après la lecture des Actes des Apôtres, le dimanche de Pentecôte : « Consolateur souverain, doux hôte de l’âme, réconfort plein de douceur».
Rueil-Malmaison, dimanche de Pentecôte, 9 juin 2019
Sainte-Thérèse