A-Dieu cher Jean
par le P. Antoine Vairon
Il y a des annonces de décès que l’on accueille paisiblement. Celle qui nous a rejoints mardi matin, nous dévoilant que Jean Vanier avait achevé son pèlerinage sur cette terre, fait partie de celle-là. Certes, non pas tant parce que la santé de Jean avait décliné ces dernières années et plus fortement encore depuis quelques mois, jusqu’à son admission récente en soins palliatifs, mais bien parce que sa vie était une vie pleine, dense, fructueuse. Ce que l’histoire retiendra de Jean Vanier, ce n’est pas d’abord son héroïsme de jeune homme, demandant dès 13 ans à quitter son Canada préservé pour aller s’engager dans l’armée britannique sur le vieux continent en 1942, ni même ses capacités intellectuelles de philosophe, bouclant avec aisance une thèse sur Aristote. La trace lumineuse et ineffaçable que Jean laissera dans notre humanité est bien son service des plus petits, ceux pour lesquels le Christ annonce avoir un amour de prédilection.
Comment te remercier, cher Jean, d’avoir à ce point contribué à faire évoluer notre regard et nos mentalités sur la place de la personne handicapée au milieu de nous ? Car tel était bien l’enjeu : ne pas faire des personnes handicapées des parias dont on prend peur et que l’on relègue dans des instituts spécialisés les plus marginalisés possible, comme cela a été si souvent le cas. Les petites communautés de l’Arche, insérées dans le tissus villageois ou urbain avaient au contraire valeur de parole prophétique. Elles annonçaient une coexistence possible, elles proclamaient que les peurs pouvaient tomber, elles répétaient chaque jeudi dans les réunions communautaires ce geste du lavement des pieds, où chacun, se mettant à son tour aux pieds de son voisin, lui révélait sa grandeur dans le mouvement même où il s’en faisait le serviteur. Et il faut ajouter la parole de Jean. Cette voix douce et profonde, dont les mots empreints de poids et de profondeur avaient été mûris au brasier ardent de la prière et décantés au creuset de l’expérience. Jean mettait des mots sur la valeur de la vie. Jean habillait les relations humaines de délicate noblesse. Il parlait de nos fragilités, il parlait de nos peurs, il parlait de la soif d’être aimé présente en chaque homme… Bref ; il parlait de nos vies. Et il le faisait dans la lumière de Jésus. Ses mots ont porté, ont touché bien des cœurs, et ils vont continuer.
Depuis l’arrivée de Raphaël et Philippe, ses deux premiers compagnons qu’il accueille dans la petite maison de Trosly-Breuil, au nord de Compiègne, que de chemin parcouru pour l’institution de l’Arche, aujourd’hui présente dans 37 pays grâce à ses 152 communautés-lieux de vie. Sans oublier les 1500 communautés de Foi et Lumière (cofondé avec Marie-Hélène Matthieu) qui, à travers 81 pays, regroupent parents, familles et amis autour des personnes vivant un handicap.
Notre diacre André Haurine, qui accompagne Foi et lumière depuis des années, vous en parlera infiniment mieux que moi. Ces fondations et leurs déploiements dans tant de pays rappellent que les grandes œuvres de Dieu naissent dans la discrétion et sans planification préalable. Elles sont jaillissement du souffle de l’Esprit à travers des vies qui se laissent inspirer et guider par l’amour de Jésus et de son évangile. Or voilà bien le fin mot : la vie de Jean Vanier avait profondément un goût d’évangile. Alors, cher Jean, avec une extrême reconnaissance pour l’héritage spirituel que tu nous laisses, nous te disons les mots même de ton Seigneur : « Bon serviteur, entre dans la joie de ton Maître » (Mt 25, 21)