Jésus apparaît aux disciples – Jean 20, 19-29
par le Père François Marxer
Dans la nuit de Pâques, au cours de la grande vigile de la Résurrection, nous avons à nouveau écouté la prophétie d’Ézéchiel, au chapitre 36, et qui correspondait si bien au baptême, que nous allions célébrer, des huit catéchumènes de nos paroisses. Une prophétie de laquelle nous recevions trois promesses : la défaite des idoles qui aliènent notre liberté et dont nous serions purifiés ; le don d’un cœur nouveau, cœur de chair et non plus cœur de pierre, puisque Dieu mettrait en nous son Esprit pour que nous marchions et pratiquions ses lois et ses coutumes. Et enfin, la pérennité de l’Alliance qui nous donnerait la paix : nous serions son peuple et lui, serait notre Dieu.
Trois promesses par lesquelles Dieu jurait, faisait serment de nous faire « plus de bien qu’autrefois », non pas, disait-il, par compassion pour nos malheurs ni effacement de nos dettes, mais pour l’honneur de son Nom que nous, les hommes, avons profané, méprisé ou ignoré.
Et nous voilà, dans l’Évangile, au soir de ce jour premier, de ce jour un, inaugural d’un temps nouveau. Le soir : l’heure vespérale dont la douceur délasse des fatigues de la journée mais dont l’obscurité naissante suscite les inquiétudes, voire les premières angoisses.
L’angoisse, en tout cas, elle est là au rendez-vous : ils se sont tous retrouvés dans la Chambre haute, Marie de Magdala a dû sans nul doute les informer : elle avait vu le Seigneur et le Seigneur l’avait envoyée, elle, leur porter un message un peu énigmatique : « Je monte vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu », voilà ce qu’il m’a dit pour vous.
Qu’est-ce à dire ? Ils en discutent à peine, à voix basse, tout juste s’ils chuchotent, ils ne font pas les fiérots, ils ont peur, et il y a de quoi : les autorités ont eu la peau de leur Maître ; alors la logique voudrait que l’on mette maintenant hors jeu ses proches, ses disciples. Ils ont peur – et la peur est une passion triste : ils se sont barricadés.
Leur inquiétude n’est pas infondée, la suite le montrera, l’hostilité juive est grandissante, et le conflit finira par se résoudre à la fin du premier siècle où le synode des rabbins à Jamnia lancera toute une série de malédictions contre les partisans de Jésus, le Messie crucifié et ressuscité. Le récit de l’évangile de Jean tente d’atténuer les antagonismes : ainsi, au chapitre 4, il est rappelé que « le salut vient des Juifs », mais les autorités de Jérusalem sont nommément mises en cause, ainsi que certains courants sectaires et intransigeants : l’aveugle-né guéri par Jésus – c’est au chapitre 9 – en fera les frais, en se faisant excommunier de la communauté d’Israël.
Et c’est dans ce climat lourd de menaces que Jésus vient : il vient au milieu d’eux. Au milieu ! On a envie de comprendre : entre chacun, entre les uns et les autres que voilà si désemparés, il sera le liant, le lien, la jointure, le ciment entre les uns et les autres, chacun enfermé, préoccupé de son propre monde et qui, grâce à lui, ensemble, finiront par faire communion.
Pour réaliser cette unité, cette unification de tous et de chacun, un souhait qui est plus encore un don, un présent : « La paix soit avec vous ». Ce don de la paix, déjà, il le leur avait promis dans les paroles testamentaires, ultimes, qu’il leur avait remises dans le dernier repas, la dernière cène : « Je vous donne la paix, je vous donne ma paix, ce n’est pas à la manière du monde que je vous la donne ».
Et nous y sommes en ce soir de Pâques : ce sont les premiers mots prononcés par le Logos, par le Verbe, la Parole de Dieu qui a créé le monde dans son harmonie que nous avait fait admirer le récit de la Genèse : « il y eut un soir, il y eut un matin, et Dieu vit que cela était bon, et même très bon »… La Parole créatrice se fait ce soir régénératrice : la paix annihile la peur et elle épanouit, elle retrouve les relations justes avec le monde, avec les autres, avec Dieu et avec soi-même.
Le prophète Isaïe, au chapitre 7, où il prophétisait la naissance prochaine d’un enfant royal qui se nommera Emmanuel, l’avait bien fait comprendre. Le roi Achaz et toute l’élite de Jérusalem s’étaient mis à trembler devant la menace d’une invasion. Le prophète les avait avertis : « Si vous ne croyez pas, vous ne tiendrez pas » : la peur est à l’incrédulité ce que la paix est à la foi.
Il leur dit donc dans son langage galiléen : Shalom alekem – le mot s’apparente à un verbe qui signifie ‘’ régler ses dettes’’. Or ici Jésus ne vient pas régler ses comptes avec ses disciples, ces poltrons qui se sont éclipsés sans demander leur reste, remarquables d’infidélité et de couardise. Pas de règlement de comptes, ni même de reproches, mais Jésus prend l’initiative : il dit et il montre, il fait voir : ses mains et sa plèvre percées.
L’effet est immédiat : la peur est exorcisée. Tous, ils voient, les mains, le côté, les blessures. Il est là, avec nous, il a traversé la mort, la violence n’a pas eu le dernier mot : qu’avons-nous à craindre désormais en sa présence ? La joie les envahit : et c’est tout autre chose que l’allégresse, qu’une irruption de bonne humeur ou d’alacrité partagée les uns avec les autres, communicative. Non, c’est consolation du cœur anxieux, meurtri, c’est consolation après la désolation du désastre au Calvaire.
Vous aurez remarqué sans doute qu’il n’y a ni discours ni déclarations : tout est éprouvé sans paroles, dans des affects, au niveau de la sensibilité cordiale et corporelle. Et Jésus poursuit quasiment cette liturgie de silence. À nouveau, le souhait de paix, mais, cette fois, accompagnant une mission : « comme le Père m’a envoyé, moi aussi, maintenant, je vous envoie ». Vous prenez le relais de ce à quoi j’ai donné l’impulsion première. On pourra dire que, dans la vision de l’évangéliste Jean, ce moment est celui de l’Ascension, de l’entrée de Jésus dans la gloire. Dans un mois environ, nous entendrons l’évangile de Luc et les Actes des Apôtres qui présentent cet événement capital de la mission qui nous est confiée à nous, les disciples, en le liant à d’autres circonstances : celles du départ de Jésus ; mais l’essentiel est le même : nous voilà lestés de la mission de propager l’œuvre de Jésus, d’opérer l’opération du Christ.
Et pour cela – et ici, comment ne pas reconnaître l’événement de Pentecôte ?- « il insuffla sur eux » ; il insuffle, comme le Créateur en la Genèse insuffle son souffle dans l’homme, cet être de chair, pour qu’il devienne vivant, comme, à la demande du prophète Ézéchiel, le souffle de Dieu va s’emparer des ossements desséchés de l’Israël désespéré de désespérance, pour les faire vibrer de vie vivante et les remettre debout.
« Recevez le Souffle saint » : recevez, appropriez-vous ce souffle de divine sainteté, puissant, recréateur. Si vous consentez à le recevoir, c’est dire que vous êtes pardonnés de vos péchés, de vos refus. Et si vous êtes pardonnés, vous ne pourrez que pardonner à votre tour – je sais, parfois, c’est difficile, ça grince, mais prenez votre temps, ça finira par arriver au moment favorable, pas de précipitation, mais votre bonne disposition -. Et pardonner ainsi est sans nul doute la meilleure façon de répandre la paix qui vous est remise. Par deux fois, le Christ nous a donné la paix qui exorcise la peur et la crainte, et s’il l’a donnée, c’est pour que nous la communiquions de proche en proche. Donner la paix : il ne s’agir pas seulement de se serrer agréablement la paluche ou de faire bisou-bisou à la messe du dimanche, il s’agit de pacifier les cœurs inquiets, de rasséréner, d’apaiser ceux qui tremblent d’anxiété, de consoler ceux qui végètent dans les soucis et les chagrins et les échecs. Tu le reconnais, la tâche est immense, et à reprendre inlassablement à chaque génération d’humains, du microcosme de la famille jusqu’aux relations internationales. Pas de défaitisme, tu as en toi l’Esprit de Dieu, l’Esprit créateur, tu as mission de pardonner et de pacifier, n’es-tu pas « un artisan de paix » ? Et tu comprendras pourquoi Thomas, loin d’être un incrédule, au contraire est un homme de foi profonde : il veut bénéficier de ce que les autres ont reçu, il ne veut pas faire bande à part, ou rester en arrière, il veut avoir part à la mission du Christ dans le monde , et ne pas être un disciple au rabais. Dis-moi, auras-tu la même générosité que lui ?
Rueil-Malmaison, 28 avril 2019
Saint-Pierre/Saint-Paul
dimanche « in albis »