Jour de Pâques 2019 – Jean 20,1-9
par le père François Marxer
Il n’est question que d’allers et venues.
C’est tout d’abord Marie, celle qui est originaire de Magdala, une petite ville du bord du lac de Galilée, entre Tibériade et Capharnaüm ; c’est une femme du Nord, et la voilà plein Sud, à Jérusalem, déracinée de chez elle : mais l’amour dont elle aime Jésus est prêt à de tels renoncements, à prendre de tels risques.
Elle vient au tombeau, plus exactement au monument, au mémorial, et à cette heure du jour qui n’est pas encore tout à fait levé, où il ya encore une ombrure de la nuit qui n’est pas encore dissipée. Ni totale ténèbre, ni la pleine lumière : un entre-deux plutôt. Si c’est le moment de la résurrection comme on va l’apprendre, c’est donc une aube qui se lève ainsi sur le monde.
Et cette promesse de l’aube ne saisit pas n’importe quel jour : nous sommes, nous précise l’évangéliste – je traduis littéralement : « le jour un de tous les shabbats ». Normal, après chacun des shabbats, le premier jour entamait une nouvelle semaine. Mais cette fois, c’est différent : ce n’est pas du premier jour qu’il est question, mais du Jour un, un jour inaugural qui ouvre une nouvelle temporalité, une nouvelle manière de vivre le temps, de vivre dans le temps. Le premier jour après qu’il y eut un soir, qu’il y eut un matin, démarrait la semaine inaugurale, celle de la Création – nous avons relu ce grand récit de la Genèse hier soir, au cours de notre vigile pascale – ; dans l’évangile de Jean, ce jour un de tous les shabbats, de toutes les semaines qui vont suivre, est au commencement d’un temps neuf, celui de la recréation. Dieu n’a créé le monde des vivants qu’en vue de sa re-création, qu’en vue de la Résurrection de son Fils et de nous-mêmes qui sommes ses frères. Dans ce clair-obscur du petit matin, ce jour premier est l’accomplissement de la création. L’Alpha de la création est lié à l’Oméga de la Résurrection. Et, dans le Livre des Martyrs d’Israël, où une mère confesse sa conviction de foi profonde, au moment où meurent successivement chacun de ses fils sous les supplices du persécuteur. Celle-ci parle de la résurrection comme de « la miséricorde ». La résurrection, c’est l’acte de miséricorde de Dieu pour sa création. S’il crée le monde des vivants, ce n’est pas du temporaire, c’est pour toujours. Et notre mort, notre trépas, est ce passage provisoire pour parvenir à la communion parfaite et sans entraves ni affaiblissement.
Dans la lueur de l’aube, dans la promesse de l’aube, Marie de Magdala vient : elle vient vers le mnèmeïonn, ce lieu de mémoire, ce monument en mémoire de Jésus où on l’avait déposé après sa mort. Un « tombeau neuf », nous avait précisé avant-hier le récit de la Passion, aussi neuf que le jour neuf, tout neuf, qu’est le jour d’hui.
Elle vient et elle regarde : coup d’œil qui ne trompe pas, la pierre a été enlevée. Une pierre semblable, définitive, était au-dessus de la grotte où gisait Lazare depuis quatre jours déjà. Et Jésus, ce jour-là, avait ordonné : « Enlevez la pierre », au grand effroi de Marthe, la sœur du mort. Ici, pas d’ordre donné, pas d’effort à faire : c’est fait, la pierre est enlevée, ce n’est pas dans l’ordre des choses.
Alors elle court – accélération de l’inquiétude ou de la stupéfaction – elle court trouver Simon-Pierre et le disciple que Jésus chérissait pour leur dire : « Ils ont enlevé le Seigneur du tombeau et nous ne savons pas où ils l’ont posé ». Qui ça, « ils » ? Elle ne le précise pas, ne se prononce pas : simplement, elle fait part de ses hypothèses, elle n’aura vu qu’une chose : que la pierre a été enlevée, et elle en aura tiré ses conclusions.
Elle s’est adressée à Simon-Pierre et au disciple bien-aimé : voilà qui est judicieux, Marie, car ils sont, tous les deux ensemble, les deux pôles qui assurent le bon fonctionnement de la communauté des disciples : Simon-Pierre, c’est la gouvernance; le Disciple, c’est le principe de l’amour. Ils sont tellement liés l’un à l’autre, à ce point que, étrangement, après ça, l’évangéliste écrit : « Il sortit donc Pierre et l’autre disciple –ils sont indissociables – et ils venaient – eux aussi viennent – vers le tombeau ».
« Ils couraient tous les deux ensemble, mais l’autre disciple court plus vite » – c’est la vitesse, la promptitude de l’amour ! – et lui arrive le premier, il se penche, « il regarde » – c’est le même coup d’œil que Marie de Magdala qui constate l’état des choses telles qu’elles sont : la pierre est enlevée dans un premier temps, les linges sont posés à plat à présent ; cela, tout le monde peut s’en rendre compte.
Pierre arrive à son tour et il entre : le disciple lui a donné la primauté d’autorité. Pierre ne se contente pas de regarder, de constater : il « contemple », il détaille ce qu’il a sous les yeux : les linges posés à plat, le suaire, la mentonnière qui était autour de la tête de Jésus, pas chiffonnée du tout, mais soigneusement à part. À l’évidence, ce n’est pas un enlèvement, comme un rapt qui aurait tout laissé sens dessus dessous. Clairement, les linges qui l’entouraient sont vidés du corps de Jésus qu’ils contenaient.
C’est alors que l’autre disciple entre : « il voit et il croit ». Je note qu’il lui a fallu voir pour croire. Et voir est bien plus que regarder, et va même au-delà de contempler. Et que vit-il ? Eh bien, il vit les Écritures que, pas plus que les autres, il ne savait profondément. Les Écritures, la Torah, les Prophètes, les Psaumes, tous disaient à mi-mots qu’il fallait – impérieuse nécessité, parce que c’est la logique de l’Amour qui est plus grand que tout, c’est l’évidence de la Bonté qui est plus que bonne – « il fallait qu’il ressuscitât d’entre les morts. »
Croire : il n’est d’autre croire que croire en la Résurrection. On dit, comme ça, comme en passant, « je crois en Dieu » – évidemment, ça n’engage pas à grand-chose, ça va tellement de soi -, croire de foi vraie, c’est croire en la Résurrection, autrement dit en ce Dieu qui ressuscite les morts et qui fait venir à l’existence ce qui n’existait pas, ce qui était néant. Et croire ainsi est indissociable de voir – de savoir les Écritures. Ça va ensemble, et c’est dit en toutes lettres à la fin de la parabole, que vous connaissez bien, du riche et du pauvre Lazare : « c’est Abraham, le premier de ceux qui ont cru au tout commencement de l’histoire des hommes, qui conclut ainsi : « Du moment qu’ils n’écoutent pas Moïse et les Prophètes, même si quelqu’un ressuscite d’entre les morts, ils ne croiront pas ». Et j’ai bien envie d’ajouter : et leur vie se sera perdue pour rien. L’avertissement est clair. À nous de le relever !
Rueil-Malmaison, 21 avril 2019
Jour de Pâques
Saint-Pierre/Saint-Paul