Lors des dimanches de scrutins, ce sont les textes de l’année A qui sont pris, vous les trouverez après l’homélie.
Jésus et la femme samaritaine – Jean 4,1-42
par le Père François Marxer
« Il donna à ce lieu le nom de Massa (c’est-à-dire : Épreuve) et Mériba (c’est-à-dire : Querelle) parce que les fils d’Israël avaient cherché querelle au Seigneur et parce qu’ils l’avaient mis à l’épreuve ». Massa et Mériba , Massa : Épreuve, Défi lancé à la face de Dieu ; Mériba : Querelle, Accusation, parce que le peuple excédé des peines de la route, de la longue traversée d’un désert aride et désespérant, aura cité son Dieu en comparution immédiate pour lui faire grief d’intentions mauvaises et perverses.
Massa, Mériba, deux noms qu’il faut retenir, puisqu’ils jalonnent le temps du désert qui est le temps du désir et ponctuent ce cheminement d’une vie où éclot la foi, où s’affine et se conforte la décision de croire, de faire confiance à ce Dieu qui m’aura choisi et que j’aurai choisi.
Massa, Mériba, ces deux lieux-dits auront hanté la mémoire d’Israël, la mémoire croyante, et on les retrouve dans ce psaume 94, un psaume invitatoire que, chaque matin, moines et moniales, prêtres et consacrés, et, souvent aussi, fidèles de nos paroisses qui ont pris l’habitude de la Prière des Heures, que tous prient, chantent ou proclament, ouverture de la journée en son aurore. En voici quelques versets :
« Venez, criez de joie pour le Seigneur, acclamons notre Rocher, notre Salut ! Allons jusqu’à lui en rendant grâce, par nos chants et nos hymnes acclamons-le ! | Entrez, inclinez-vous, prosternez-vous,adorons le Seigneur qui nous a faits.Oui, il est notre Dieu, nous sommes le peuple qu’il conduit, le troupeau guidé par sa main. |
Oui, le grand Dieu, c’est le Seigneur, Le grand roi au-dessus de tous les dieux : Il tient en mains les profondeurs de la terre, Et les sommets des montagnes sont à lui […] | Aujourd’hui, écouterez-vous sa parole ? ‘‘Ne fermez pas votre cœur comme au désert, comme au jour de Massa et de Mériba, où vos pères m’ont défié et provoqué, Et pourtant ils avaient vu mon exploit’’. |
Et Dieu ajoute : « Quarante ans cette génération m’a déçu, et j’ai dit :’’le peuple a le cœur égaré, il n’a pas connu mes chemins. Alors, dans ma colère je l’ai juré : Jamais ils n’entreront dans mon repos’’. »
Et ces mêmes versets du psaume seront repris dans la lettre aux Hébreux, à l’adresse de ces premiers fidèles qui ont voué leur foi au Christ Jésus et qui, devant l’hostilité et l’adversité à quoi ils se heurtent si souvent de la part des hommes qu’ils côtoient, sont tentés de s’en prendre à leur Dieu ou de reculer et de battre en retraite…
Quarante ans en effet, quarante ans aura duré la traversée du désert, autant dire le temps de la foi naissante et grandissante. Quarante ans, dans la mentalité de l’homme biblique, c’est l’âge de la maturité adulte, enfin acquise dans sa stabilité paisible et responsable, ayant ainsi franchi le cap des turbulences et des interrogations et des doutes qui accompagnent les enthousiasmes et les découvertes et les expérimentations de l’âge juvénile. Qui en aura aussi surmonté, voire maîtrisé, les inquiétudes, les incertitudes et les angoisses…
Quarante ans, Israël, libéré de la servitude esclave où l’avait réduit la terre d’Egypte, qui est la terre du calcul, de la mathématique et de la technique, Israël aura mis quarante ans pour parvenir à la maturité adulte de la foi, et ainsi entrer dans la Terre des vivants qui lui était promise.
Ce lent cheminement est grevé de crises, comment s’en étonner ? Massa, Mériba, c’est peut-être bien la plus grave, la plus sévère, à la suite de quoi le Seigneur ne cachera pas sa déception. Le peuple a soif : dans le désert, on ne s’en étonnera pas, l’eau est vitale, tant pour les humains que pour le bétail des troupeaux, qui sont la seule ressource dont disposent ces éleveurs qui avancent au gré des pâturages, bien maigres souvent, mais qui suffisent à ces ovins, moutons, brebis, agneaux dont ils prennent soin. Mais l’eau est primordiale pour tous et pour chacun. Or, dans ce désert qui leur est inconnu, il n’y en a qu’un seul qui connaisse la source et les points d’eau, pour avoir été, dans la deuxième vie qu’il aura menée après avoir fui d’Égypte, berger au service de son beau-père, Jethro, un pâtre de Madian. Lui est ’expert, et il peut – et lui seul – nous sortir de cette situation catastrophique qui se profile. Et là, on s’étonne quelque peu de la réaction du peuple, angoissé sans doute de la menace de la mort – et une mort terrible ! qui rôde déjà. Ils pourraient gémir, implorer, et même se lamenter, on le comprendrait. On s’était rendu à Rephidim, on comptait sur des sources abondantes, et voilà que leur niveau se révèle incertain, en tout cas insuffisant.
Or, loin de demander et d’implorer, les voilà qui récriminent, ils murmurent et se font menaçants. Ils accusent Moïse de l’invraisemblable : « Pourquoi nous as-tu fait monter d’Égypte ? Était-ce pour nous faire mourir de soif avec nos fils et nos troupeaux ? » L’exaspération devient critique : Moïse voit bien qu’ils lui en veulent au point de ramasser des pierres pour le lapider.
L’accusation est impensable quand on sait tout ce que Moïse a dû entreprendre et risquer pour libérer les siens de la chape de plomb de la servitude. Mais voilà, peut-être au fond n’en voulaient-ils pas de cette liberté neuve, peut-être n’avaient-ils guère envie de se risquer à conquérir cette liberté qui s’offrait à eux, et de supporter peines et épreuves pour y parvenir ; peut-être au fond nourrissaient-ils une nostalgie secrète et combien perverse de l’état de dépendance, de soumission, de servitude, que l’Égypte leur avait fait connaître en échange de conditions de vie à leurs yeux honorables, puisqu’ils pouvaient satisfaire leurs appétits de nourriture et de sécurité ?
Et le cœur de l’homme est étonnant de secrète perversité, toujours cette inclination mauvaise à soupçonner, à accuser, à secréter une violence qui ne dit pas son nom, en s’affichant comme revendication ou en se prétendant légitime défense. Suspectant l’intention mauvaise ou perfide de l’autre homme, accusé de cupidité ou de convoitise – ce qui n’est pas toujours faux, hélas ! –, de malignité en tout cas, qui justifie la défiance qui grandit à son égard.
Et c’est une même défiance qui s’installe à l’encontre de Dieu, finalement, lui, le grand responsable de tous nos déboires, de tous nos malheurs. C’est de sa faute ! Eh, ce grief empoisonné avait été instillé dans la cervelle et le cœur des premiers humains, pourtant confiants, quand le Trompeur avait présenté ce Dieu qui interdisait l’arbre du Bien et du Mal, comme un Despote jaloux de son pouvoir et jouissant d’écraser et d’assujettir ses créatures sous son pouvoir : « Mais non ! si vous mangez ce fruit interdit, Dieu sait bien que vous serez à ce moment-là comme des dieux !… »
Dieu va-t-il, en réponse à ce péché immémorial, sans cesse renaissant, de la défiance qui saccage le meilleur de nos vies humaines et qui prolifère comme un tourbillon qui ravage tout et plonge tout dans une opacité impénétrable : et l’homme à ce moment-là, dit saint Jean, « hait la lumière et ne vient pas à la lumière, dans la crainte que ce qu’il fait soit révélé mauvais et coupable » (Jn 3,20).
Alors, Dieu va-t-il se venger de cette ingratitude, de cette méfiance sans raison (« ils m’ont haï sans raison », dit le psaume), dans une réponse féroce ? Pas le moins du monde ! Il fera jaillir l’abondance de cette eau vive, vitale, en s’associant le concours de Moïse qui frappera, de son bâton de pasteur, le rocher de l’Horeb, la montagne de l’Alliance. « Là où le péché a abondé, dit saint Paul dans sa lettre aux Romains (5,20), la grâce a surabondé ».
C’est cette même eau que, selon le prophète Ézéchiel, cette eau pure de tout ressentiment, de toute malignité, « Dieu répandra sur vous, et vous serez purifiés. De toutes nos souillures, de toutes nos idoles, il nous purifiera ; et il nous donnera un cœur nouveau, mettra en nous un esprit nouveau. Il ôtera de notre chair le cœur de pierre et il nous donnera un cœur de chair » (Ez 36,25-26).
C’est cette même eau, purifiante et désaltérante, que Jésus aura donnée à cette femme de Samarie, à la vie pas très propre peut-être, mais qui a tellement soif d’un amour vrai, du vrai de l’amour, cet amour qui la déserte et la déçoit tant de fois (cinq maris, et ton compagnon du moment n’est pas ton mari ! quel gâchis !) : « L’eau que je te donnerai deviendra en toi source d’eau qui jaillira en vie éternelle ! »
Tu m’as dit, à moi la Samaritaine : « Donne-moi à boire ! » Que tu puisses me demander quelque chose à moi qui suis une pas grand-chose, et pas fiable, si instable de surcroît, je n’en reviens pas, qu’est-ce que je suis donc, pour que tu penses à moi ? Que tu puisses t’intéresser à moi et te donner à moi, sans réserve, alors que tu m’étais totalement indifférent – j’avais d’autres chats à fouetter – je n’en reviens pas, ça m’émerveille, comment ça se fait que tu penses à moi ? Que tu puisses, Seigneur, ne pas être en repos, tant que moi je n’aurai pas changé, à en être demain meilleure que je ne suis aujourd’hui, et aujourd’hui est déjà tellement nouveau, comparé à hier, c’est pour moi un grand mystère, je n’en reviens pas, et je m’étonne : qu’est-ce que je suis donc, pour que tu m’aimes tant que ça ?
Dimanche de scrutin pour les futurs baptisés (textes de l’année A)
24 mars 2019 , 3ème dimanche de Carême (année C)
L’EXODE, ch. 17
1Toute la communauté des Israëlites partit du désert de Sin pour les étapes suivantes, sur l’ordre de Yahvé, et ils campèrent à Rephidim où il n’y avait pas d’eau à boire pour le peuple. 2Celui-ci s’en prit à Moïse ; ils dirent : « Donne-nous de l’eau, que nous buvions ! » Moïse leur dit : «Pourquoi vous en prenez-vous à moi ? Pourquoi mettez-vous Yahvé à l’épreuve ? » 3Le peuple y souffrit de la soif, le peuple murmura contre Moïse et dit : « Pourquoi nous as-tu fait monter d’Égypte ? Est-ce pour me faire mourir de soif, moi, mes enfants et mes bêtes ? » 4Moïse cria vers Yahvé en disant : « Que ferai-je pour ce peuple ? Encore un peu et ils me lapideront. » 5Yahvé dit à Moïse : « Passe en tête du peuple et prends avec toi quelques anciens d’Israël ; prends en main ton bâton, celui dont tu as frappé le Fleuve, et va. 6Voici que je vais me tenir devant toi, là sur le rocher (en Horeb), tu frapperas le rocher, l’eau en sortira et le peuple boira. » C’est ce que fit Moïse, aux yeux des anciens d’Israël. 7Il donna à ce lieu le nom de Massa et Mériba, parce que les Israélites cherchèrent querelle et parce qu’ils mirent Yahvé à l’épreuve en disant : « Yahvé est au milieu de nous, ou non ? »
ÉVANGILE selon saint Jean, ch. 4 : la Samaritaine
1Quand Jésus apprit que les Pharisiens avaient entendu dire qu’il faisait plus de disciples et en baptisait plus que Jean – 2bien qu’à vrai dire Jésus lui-même ne baptisât pas, mais ses disciples -, 3il quitta la Judée et s’en retourna en Galilée. 4Or il lui fallait traverser la Samarie. 5Il arrive donc à une ville de Samarie appelée Sychar, près de la terre que Jacob avait donnée à son fils Joseph. 6Là se trouvait le puits de Jacob. Jésus, fatigué par la marche, se tenait donc assis près du puits. C’était environ la sixième heure.
7Une femme de Samarie vient pour puiser de l’eau. Jésus lui dit : « Donne-moi à boire. » 8Ses disciples en effet s’en étaient allés à la ville pour acheter de quoi manger. 9La femme samaritaine lui dit : «Comment ! toi qui es juif, tu me demandes à boire à moi qui suis une femme samaritaine ? » (Les Juifs en effet n’ont pas de relations avec les Samaritains.) 10Jésus lui répondit : « Si tu savais le don de Dieu et qui est celui qui te dit ‘‘Donne-moi à boire’’, c’est toi qui l’aurais prié et il t’aurait donné de l’eau vive. »
11Elle lui dit : « Seigneur, tu n’as rien pour puiser, et le puits est profond. D’où l’as-tu donc, l’eau vive ? 12Serais-tu plus grand que notre père Jacob, qui nous a donné ce puits et y a bu lui-même, ainsi que ses fils et ses bêtes ? » 13Jésus lui répondit : « Quiconque boit de cette eau aura soif à nouveau ; 14mais qui boira de l’eau que je lui donnerai n’aura plus jamais soif ; l’eau que je lui donnerai deviendra en lui source d’eau jaillissante en vie éternelle. »
15La femme lui dit : « Seigneur, donne-moi cette eau, afin que je n’aie plus soif et ne vienne plus ici pour puiser. » 16Il lui dit : « Va, appelle ton mari et reviens ici. » 17La femme lui répondit : « Je n’ai pas de mari. » Jésus lui dit : « Tu as bien fait de dire ‘‘Je n’ai pas de mari’’, 18car tu as eu cinq maris et celui que tu as maintenant n’est pas ton mari ; en cela tu dis vrai… » 19La femme lui dit : « Seigneur, je vois que tu es un prophète… 20Nos pères ont adoré sur cette montagne et vous, vous dites : C’est à Jérusalem qu’est le lieu où il faut adorer. » 21Jésus lui dit :
« Crois-moi, femme, l’heure vient où ce n’est ni sur cette montagne ni à Jérusalem que vous adorerez le Père. 22Vous, vous adorez ce que vous ne connaissez pas ; nous, nous adorons ce que nous connaissons, car le salut vient des Juifs. 23Mais l’heure vient – et c’est maintenant – où les véritables adorateurs adoreront le Père en esprit et en vérité, car tels sont les adorateurs que cherche le Père. 24Dieu est esprit, et ceux qui adorent, c’est en esprit et en vérité qu’ils doivent adorer. »
25La femme lui dit : « Je sais que le Messie doit venir, celui qu’on appelle Christ. Quand il viendra, il nous expliquera tout. » 26Jésus lui dit : « Je le suis, moi qui te parle. »
27Là-dessus arrivèrent ses disciples, et ils s’étonnaient qu’il parlât à une femme. Pourtant pas un ne dit : « Que cherches-tu ? » ou « De quoi lui parles-tu ? » 28La femme alors laissa là sa cruche, courut à la ville et dit aux gens : 29« Venez voir un homme qui m’a dit tout ce que j’ai fait. Ne serait-il pas le Christ ? » 30Ils sortirent de la ville et ils se dirigeaient vers lui.
31Entre-temps, les disciples le priaient, en disant : « Rabbi, mange. » 32Mais il leur dit : « J’ai à manger un aliment que vous ne connaissez pas. » 33Les disciples se disaient entre eux : « Quelqu’un lui aurait-il apporté à manger ? » 34Jésus leur dit : « Ma nourriture est de faire la volonté de celui qui m’a envoyé et de mener son œuvre à bonne fin. 35Ne dites-vous pas :’’Encore quatre mois et vient la moisson’’ ? Eh bien ! je vous dis : Levez les yeux et regardez les champs, ils sont blancs pour la moisson. Déjà 36 le moissonneur reçoit son salaire et récolte du fruit pour la vie éternelle, en sorte que le semeur se réjouit avec le moissonneur. 37Car ici se vérifie le dicton : autre est le semeur, autre le moissonneur ; 38je vous ai envoyés moissonner là où vous ne vous êtes pas fatigués ; d’autres se sont fatigués et vous, vous héritez de leurs fatigues. »
39Un bon nombre de Samaritains de cette ville crurent en lui à cause de la parole de la femme qui attestait : « Il m’a dit tout ce que j’ai fait. » 40Quand donc ils furent arrivés près de lui, les Samaritains le prièrent de demeurer chez eux. Il y demeura deux jours 41 et ils furent bien plus nombreux à croire, à cause de sa parole, 42 et ils disaient à la femme : « Ce n’est plus sur tes dires que nous croyons ; nous l’avons nous-mêmes entendu et nous savons que c’est vraiment lui le sauveur du monde. »