Pendant quarante jours, «faire le bien et le bien faire»,
par le P. François Marxer
Voilà le mot d’ordre – l’objectif et la méthode – signé Laurent de Brindisi, capucin du XVIe siècle…et Docteur de l’Eglise! Tout d’abord, le nettoyage des vanités, dans la grande tradition de Qohelet et de la littérature juive. Jadis, le carnaval y excellait, opérant dans la bonne humeur, masques grotesques et confetti à l’appui, le renversement de l’ordre social sens dessus dessous; on savait construire les équilibres de la communauté humaine sans illusion sur la dérision des rangs et des places: le simple clergeon s’asseyait dans la cathèdre de l’évêque, lequel se retrouvait au rang des serviteurs (ce qui est,après tout,sa place normale), lavant les pieds de douze pauvres ou leur servant le repas du Jeudi saint ; et les gens de peu tenaient princièrement le haut du pavé (notre Semaine de la joie pourrait en être l’écho lointain, mais aujourd’hui on ne sait plus guère faire ainsi, sinon enfiler un gilet jaune, lequel, disait Karl Lagerfeld, est moche, ne va avec rien, mais peut vous sauver la vie : ce n’est même plus sûr à présent quand il sert à vous enfoncer un peu plus dans l’amertume et la rage du désespoir, envahis que nous sommes par un formidable et oh combien ridicule «esprit de sérieux» (Fr. Boyer).
Ainsi le Mardi gras mesurait la dérision des institutions humaines. Le lendemain, mercredi, on tirait les leçons des évidences retrouvées : nos grandeurs et nos «valeurs» dont on se targue si fort, eh bien, ça ne vaut pas grand chose ! Surtout si on regarde du côté du Bon Dieu –on s’en fait volontiers une image de splendeur et d’imposante majesté; mais, depuis l’Incarnation, il a changé de régime, il joue la carte de l’accoutumance, il s’adapte (impératif catégorique de notre époque !). À l’autre bout du carême, loin de parader en solennité, il est là, devant moi, à genoux, il essuie mes pieds de marcheur fatigué, renâclant, désabusé même –moi un peu gêné, peut-être même un peu vexé : j’aurais tant aimé avoir le privilège de me montrer serviteur. Trop tard ! Cette place, il l’a prise avant toi, mais tu peux maintenant faire pareil, les pistes ne te manqueront pas.
Pour ça, tu connais les grands classiques : fréquenter plus assidûment, goûter plus fermement ton Dieu qui te parle (et ton Dieu est moderne étonnamment, avant tweetter et les SMS, il te parle par écrit, et en plus que 140 caractères, en mieux que des MMS: ces pages de son Livre nommé Bible, à consommer sans modération). Autre chose : arrête de tirer une g… de trente-six pieds de long qui incommode ton entourage. Allez, encore un petit effort et tu seras d’aplomb pour la Semaine de la joie. Ça n’empêche que tu es conscient, bien sûr, de l’horreur du monde, du désastre déjà là ou encore à venir. Alors embarque ceux qui te sont chers et aussi les inconnus que tu croises à ta porte dans l’esquif de ta prière. La barque tangue, le progrès fait rage à t’en trouver rincé de désespoir. Mais le Maître est là, même si parfois il dort (ou semble dormir: laisse-le se reposer).
Et puis, si tu te dis (un peu honteux quand même) que tu t’en mets plein la sous-ventrière, eh bien, tempère tes fringales. Si tu as envie de devenir vegan (encore que…) ou végétarien, pourquoi pas ? mais prudence quand même. L’important n’est pas la diététique, mais la modération, voire la frugalité (heureuses si possible). Bénéfice de toute cette armature : te décentrer de ton petit Moi (si obsédant parfois), démanteler tout doucement ton Moi préfabriqué (bon nettoyage, M. Zundel t’y invite), et ainsi laisse Dieu être Dieu en toi(recommandation de J.-M. Gueulette). Tu verras, toi qui es compliqué, que Dieu est simple ; toi qui es rigide, que Dieu est souple ; toi qui es boursouflé, que Dieu est pauvre. Que Dieu est Dieu parce qu’il n’a rien, dépouillement virginal et amour incorruptible. Relis ces quelques mots : vertige, incandescence ! Tu devines que le vrai est de ce côté-là et qu’on ne va quand même pas le dissoudre dans un fatras de bricoles pieuses ou savantes, comme du Nescafé dans un gobelet d’eau chaude !