Prédication de Jean-Baptiste – Luc 3,10-18
Par le Père François Marxer
Branle-bas de combat au Ministère de l’Intérieur à Jérusalem. Il y a de l’effervescence du côté du Jourdain. C’est toujours inquiétant, ou du moins préoccupant, quand on est chargé de maintenir l’ordre. Pas mal de monde et de l’agitation autour d’un grand escogriffe, vêtu à la sauvage – une peau de bête sur le dos, encore qu’il ait quand même une ceinture de cuir, c’est la preuve qu’il n’est quand même pas en rupture totale avec le monde civilisé. Pas tout à fait végane, puisqu’il mange des sauterelles – mais bio assurément – un complément alimentaire, du miel, on ne va quand même pas le lui reprocher !
Il attire, il interloque les curieux, et beaucoup se demandent : Et si le Messie que nous espérons, c’était lui ? Mais il dément : Moi, je vous plonge dans l’eau, c’est en attendant, mais le Messie – et il va venir, il est même là, mais vous ne l’avez pas repéré – le Messie, lui, il vous plongera dans l’Esprit, dans le Souffle, et dans le feu. Ça aura une autre allure. Et puis, ce sera le grand nettoyage : le bon grain d’un côté, et la paille – les médiocres, les hâbleurs, les hypocrites, allez, hop ! dans la fournaise, et on n’en parle plus !
On est peut-être un peu déçu, on croyait bien avoir trouvé celui en qui nous espérions, mais c’est quand même réconfortant, ce qu’il nous dit. Et il faut donc nous y préparer, à ce grand chambardement. Alors, dis-nous donc : qu’est-ce que nous devons faire ?
Eh oui, on aime toujours bien quand quelqu’un nous dit ce qu’il faut faire. C’est rassurant, que voulez-vous, c’est tranquillisant. On demande ça quand même en tremblant un peu, sans trop le montrer. Des fois qu’il vous prescrive des choses extraordinaires, qui nous demandent des efforts héroïques ! On ne ferait pas les malins, mais on est prêt à faire tout de même, sans toutefois garantir le résultat. On va tenter, loyalement, on y mettra tout ce dont on est capable, de l’énergie et de l’endurance.
Et voilà qu’il nous a demandé que du très banal : si tu as du surplus dont tu ne vois pas à quoi ça pourrait servir, eh bien, tu le donneras à celui qui en manque. Tu as raison de bien manger, et correctement, tu peux même te faire un petit plaisir de temps à autre, mais quand tu verras un gilet orange, eh ! tu te rappelleras que tout le monde n’a pas la même chance que toi, alors fais un petit effort, ça ne va pas être la faillite pour autant.
Pour les fringues, c’est pareil : tu t’habilles correct, avec même un peu d’élégance, ça ne gâte rien. De la sobriété là aussi, et heureuse tant qu’à faire. Mais tu n’es pas obligé d’être à l’affut de la dernière mode, du dernier cri, histoire de frimer. La modération, là encore, est bien agréable ; eh ! pourquoi te faire tant de souci de ton personnage, je te le répète, « pourquoi vouloir être quelque chose quand tu peux être quelqu’un ? »
Il a vu arriver des gilets jaunes et il leur a dit : « Eh, les gars, n’exagérez quand même pas ! Vous n’êtes quand même pas sur la paille. Évidemment, les fins de mois, c’est peut-être ric-rac, mais ce n’est quand même pas la fin du monde ! Avec deux voitures comme vous avez généralement, évidemment ça chiffre. Mais est-ce que ça vaut la peine de dire que vous êtes oubliés, que vous êtes méprisés, qu’il n’y a pas d’avenir, qu’il vaudrait mieux ne plus avoir d’enfants du tout ? Et puis arrêtez de dire tout le temps « Moi je, moi je… ». Quand donc allez-vous vous décider à dire : « Nous, ensemble, alors, qu’est-ce qu’on fait au lieu de palabrer et de boire des cafés ou des bières sur les ronds-points ? »
Les gabelous ont pointé leur nez, suivis de la maréchaussée ; il leur a dit : Soyez honnêtes, n’en rajoutez pas au péage des taxes, pour vous mettre le supplément dans la poche, ni vu, ni connu ; et puis vous, les carabiniers, du respect, pas de brutalité, et contentez-vous de votre solde ; ce n’est pas mirobolant, c’est vrai, mais il peut y avoir une prime de temps à autre, eh ! ça fait toujours plaisir, pas vrai ?
Rien d’extravagant, tout compte fait. Bien accomplir sa tâche, prêter attention à qui m’entoure, à qui je rencontre. Pas de surenchère, c’est au fond le premier étage de la fusée, ce qu’il faut pour le décollage. Ce qui n’a rien de glorieux, mais qui est indispensable. Et pas si simple, au fond : prendre sa part de l’effort commun, mais n’en rajoutez pas : votre part, toute votre part, mais seulement votre part….
….. Il n’y a là vraiment pas de quoi se vanter ou s’enorgueillir. L’amour-propre n’y trouve pas son compte. Voilà qui me rappelle ce que c’est que la véritable, la vraie humilité : ce n’est pas du faire-semblant, du théâtre un peu hypocrite à jouer la platitude, la servilité, la soumission un peu obséquieuse en plus. L’humilité, c’est ne jamais se situer en deçà de sa propre puissance, jamais en deçà de ses propres capacités, de ses propres compétences. Pas au-delà non plus bien sûr, ce serait de la présomption : tout le contraire de l’espérance. Mais, je le répète, pas en-deçà : ce serait de la paresse ou un commencement de désespérance inavouée.
Et Jean-Baptiste n’a pas triché là-dessus pour son propre compte : à preuve, ce qui vient tout juste après notre évangile : « Hérode, qui était au pouvoir en Galilée – eh ! on le retrouve celui-là, il paradait avec Tibère, Pilate et quelques autres dimanche dernier – Hérode donc avait reçu des reproches de Jean, au sujet de Hérodiade, la femme de son frère – le frère en question, c’est Philippe, le tétrarque d’Iturée et de Trachonitide, encore une des V.I.P. de dimanche passé, et Hérode lui avait galamment subtilisé son épouse, on a beau être tétrarque, ça ne se fait quand même pas… Des reproches aussi au sujet de tous les méfaits qu’il avait commis. À tout cela, il ajouta encore ceci : il fit enfermer Jean dans une prison. » Jean est donc investi par la puissance de la Parole, et la Parole qui dit vrai, il est habité par l’instinct prophétique. Il ne biaise pas, sa responsabilité de porte-parole de son Dieu, de prophète, il l’assume sans reculer. Quoi qu’il en coûte : pour lui, ce sera l’incarcération sans justification de droit, et, pour finir, son exécution, par pur caprice arbitraire d’un despote.
Jean sait ce qu’il fait et il sait ce qu’il dit. Il s’adresse à des adultes, des actifs qui lui demandent, c’est tout à fait juste : « Que devons-nous faire ? » ; et Jean ne fait rien d’autre que de les remettre devant leur responsabilité, même minimale, il faut bien un début à toute chose. Mais cela, c’est pour ceux qui sont dans le milieu de la vie ; mais alors, tous les autres, ceux d’avant, des tout débuts, et ceux qui sont vers la fin ? Qu’en est-il pour eux ?
Eh bien, je viens de relire une prophétie, c’est dans Zacharie, au chapitre 8, et, vous allez voir, cela ressemble fort à ces lignes de Sophonie qu’on a entendues dans notre première lecture. Écoutez Zacharie : c’est plein de promesse, et de promesse divine :
« Ainsi parle le Seigneur : je reviens vers Sion et je fixerai ma demeure à Jérusalem. Jérusalem
s’appellera Ville de la Vérité, et la montagne du Seigneur de l’univers Montagne de la Sainteté ».
Nous avons compris, il va falloir retrousser nos manches et prendre nos responsabilités, car, autrement, comment cette ville pourrait-elle être une Cité de Vérité, de loyauté, et cette montagne une Demeure de sainteté, si nous n’y mettons pas du nôtre ?
Voilà pour les hommes en âge de responsabilité. Mais les autres, ceux d’avant et ceux d’après, ceux qui ne sont pas encore en responsabilité, et ceux qui n’y sont plus ? Le prophète continue à leur sujet :
« Ainsi parle Seigneur : les vieux et les vieilles reviendront s’asseoir sur les places de Jérusalem,
le bâton à la main, à cause de leur grand âge, et les places de la ville seront pleines de petits garçons et de petites filles qui viendront y jouer ».
Voilà la promesse : tous les grands-pères et les grands-mères, appuyés sur leurs cannes, viendront s’asseoir sur les bancs au soleil ou à l’ombre selon la saison, et ils regarderont en souriant tous ces gamins et ces petiotes qui jouent et qui pépient comme des volées de moineaux. Et le Seigneur ajoute :
« Ce sera une merveille aux yeux des survivants, mais ce sera aussi une merveille à mes
propres yeux, à moi Dieu. »
L’émerveillement de Dieu devant nous autres : devant les grandes personnes qui se battent dans la vie, contre la vie aussi parfois, et Dieu s’émerveille de nous voir répondre à chacun de ces défis. Pour les vieux et pour les enfants, la vie est un fruit que l’on cueille avec innocence, puis avec reconnaissance. Et Dieu s’émerveille aussi de nos joies simples et spontanées. Il y a vraiment de quoi espérer.
Rueil-Malmaison, 15-16 décembre 2018
Saint-Pierre/Saint-Paul
3ème dimanche de l’Avent (année C)