Qui est ce Roi de gloire ?
par le P. François Marxer
Dans les sombres forêts de Gaule celtique, le procurateur Pontius Pilatus, jadis si brillant, vieillissait et vieillissait mal. La disgrâce de César l’avait exilé dans ces contrées brumeuses et hostiles, loin des rives ensoleillées de l’Orient et du ciel serein de Rome, la Ville éternelle. On lui avait reproché son extrême brutalité, et pourtant il était loyal mais ferme dans les gouvernances qu’on lui avait confiées. Il avait tenté de recouvrer la faveur impériale, mais en vain.
Et puis, Claudia, son épouse qu’il avait toujours aimée d’un amour de jeunesse qui ne s’était jamais démenti, qui n’avait jamais fléchi, était morte il y avait bien dix ans maintenant : sa solitude était complète.
Il repensait souvent à cet avertissement qu’elle lui avait donné, ce jour-là – ils étaient en Palestine, c’était peu avant la Pâque à Jérusalem : « Ne t’occupe pas du sort de ce juste, j’ai rêvé à son sujet, un funeste présage ». Ce juste, c’était ce Galiléen qu’on avait déféré devant sa justice de gouverneur : il devait trancher ; à l’évidence l’homme était innocent, mais la masse juive réclamait sa peau, menée par des prêtres déchaînés. Lui, l’implacable, avait cédé : lassitude ? lâcheté ? allez savoir. Et il se rappelait si bien ce que ce Galiléen lui avait répondu lors de son interrogatoire. Pilate le questionnait sur ses ambitions politiciennes, lui, avait répondu « vérité » et il lui avait fait comprendre que la force et le pouvoir ne sont rien, que la véritable puissance est ailleurs, que celui qui dit la vérité, quel que soit son adversaire, est invincible. Pilate était à deux doigts de le croire (il était déjà revenu de tant de choses !), alors pour s’en tirer, il avait répliqué : « Qu’est-ce que la vérité ? », comme un sceptique qu’il n’était pas. Mais depuis, la question lui brûlait l’esprit, sans réponse.
Dans le couchant d’un rouge sombre, Pilate refaisait sa vie. Il appela pour qu’on prépare son coucher. Mais ce ne fut pas son esclave familier qui vint, mais trois : deux étaient des êtres étincelants, habillés de lumière, avec des ailes immenses, étonnantes ; celui du milieu, loqueteux, habillé de haillons écarlates (comme la pourpre de la chlamyde impériale), chevelure en désordre, semée de caillots de sang, portait un bassin rempli d’eau. Il s’agenouilla devant Pilate et lui lava les pieds, puis il releva la tête. Alors Pilate le reconnut, c’était le Galiléen qu’il avait fait crucifier et qui le regardait avec toujours la même douceur souveraine, et Pilate comprit où était la vérité, il avait enfin la réponse et il s’endormit dans l’éternité.