Jésus parle en paraboles : le grain qui pousse tout seul – le grain de sénevé – Marc 4,26-34
par le Père Marxer
Dimanche dernier, rappelez-vous, l’on a fait une manière de grand nettoyage de printemps. Tous ces esprits qui apportent la confusion, qui mélangent les choses et vous embarquent ainsi tout droit vers la mort – et là, les scribes venus de Jérusalem tenaient une bonne place, eux qui affirmaient avant même d’avoir enquêté : « C’est par Béelzéboul (le Seigneur des mouches ou le Maître de la Demeure, comme vous voudrez, en tout cas, c’est par ce personnage peu sympathique) que lui, le Rabbi de Nazareth, chasse les démons ». C’est ça qu’ils disent, les scribes, ces experts : confusion ! eh bien, tous ceux-là, arrivés en délégation officielle, sont mis hors jeu.
Et pour cause : impardonnable blasphème en effet contre l’évidence de l’Esprit-Saint au travail, contre la puissance du Christ à l’œuvre. Et ce qu’ils affirmaient avait de quoi en égarer plus d’un, parce que ces gaillards-là ont de l’autorité auprès des foules : ce sont des lettrés, des savants, des herméneutes comme ils disent, eux, ils savent et ils le font savoir…
Et puis, il y avait eu aussi la famille qui avait rappliqué, exaspérée par les fredaines de ce fils de la Marie qui joue au prophète et au guérisseur. Mais lui ne l’a pas entendu de cette oreille : vous dites que je suis dérangé, que je suis complètement maboul, vous vous rendez compte de ce que vous dites ? Car il y a des paroles qui tuent et qui blessent, comme il y a aussi, c’est vrai, le ronron du bavardage inépuisable : qu’il soit pieux ne change rien à l’affaire, ça n’en est pas moins insignifiant, parce qu’il n’y a aucun principe qui en soit à la source !
En revanche, il y a des paroles qu’on attend toute sa vie, parce que ce sont des paroles qui font naître, qui donnent naissance et même qui ressuscitent les morts, les âmes mortes qui végètent dans la décrépitude et la morosité. Ce sont là des paroles qui sont habitées, mais il y a aussi, hélas ! celles qui ne le sont pas et qui vous reconduisent sans remède à la sécheresse de votre désert solitaire.
Et justement, si c’était de ces paroles-là, vives, vivantes, vivifiantes, que vous attendiez sans trop vous l’avouer, si c’était de ces paroles-là que je vous donnais, mais elles vous déconcertent ou même vous offusquent. Et pourtant, ce sont des paroles qui font vivre, si du moins vous avez envie d’être vivant. Ce que je vous dis, c’est en manière de paraboles : ça paraît tout simple, mais c’est toujours aussi un peu énigmatique, ça vous interroge, car ça tourne toujours, de près ou de loin, autour du Règne de Dieu. Je me garde bien de vous en donner une définition, ce serait trop commode et de bien peu de profit pour vous, eh ! il s’agit de vous questionner, de vous décarcasser. Ce Règne de Dieu, je vous en donne une représentation par une comparaison : c’est plus qu’une image, il y a en effet un peu de ça dans la comparaison, mais c’est décalé. Alors qu’est-ce que vous allez en comprendre ?
D’abord, qu’il y a un temps pour tout, un temps pour les semailles et puis un temps pour la récolte, pour la moisson, et là tu y mets la faucille. La semaison, la moisson : dans les deux cas, tu es actif, mais entre les deux il y a le temps de la patience, de la lente patience, le temps de la croissance et de la maturation, et ce temps-là, tu n’as rien à faire, que tu dormes ou que tu te lèves, tu n’as rien à y faire, sinon attendre. Pas moyen de le télescoper, de l’accélérer. Ce temps-là, ton activisme débridé n’y change rien : ça s’enchaîne automatiquement, spontanément, ça pousse et ça prend le temps de pousser, ça germine, ça verdit, ça fructifie, quoi que tu fasses ou quoi que tu ne fasses pas.
Évidemment, de nos jours, Seigneur, Bayer (alias Monsanto) va nous donner des tas de bons conseils et des super-produits et nous nous croirons les maîtres de la nature, la pliant à notre gré, et les laboratoires vont faire de nous des techniciens savants (et des esclaves dociles). Peut-être. N’empêche, le miracle reste toujours là, ça germe, ça grandit, et on ne sait comment, cette matière qui devient vivante et qui va mourir pour redevenir vivante…
Il y a de quoi s’émerveiller ! Eh bien, pour le Règne de Dieu, c’est tout pareil, ça advient, et tous tes plans, toutes tes planifications, toutes tes stratégies de communication et de marketing et de pastorale, sans doute est-ce très bien, mais ce n’est pas ce qui fait advenir le Règne de Dieu. Évidemment, tu auras eu du moins l’impression de n’avoir pas été inutile, d’avoir participé efficacement, que si tu n’avais pas été là, ça aurait été moins bien. Mais vois-tu, la Parole de Dieu ne t’aura pas attendu : oh, bien sûr, elle aura pu emprunter les mots que tu dis et les gestes que tu fais et les décisions que tu prends, pour ensemencer le cœur des hommes que tu côtoies ou que tu rencontres. Mais dès que cette Parole de Dieu a touché le terreau du cœur humain, ça pousse et ça porte du fruit, sans qu’il y ait besoin de tes campagnes de publicité ou de promotion.
Ça pousse, ouais, ça aurait envie de porter du fruit, parce que, quand on voit l’état du monde comme il est, ce qu’il peut ressasser d’abject et de médiocre, quand on voudrait ceinturer nos chez-soi de murs bien étanches et qu’on se rend compte alors de l’état de décomposition des esprits, tu te dis que c’est quand même étonnant que de ci, de là, en quelques-uns, pas très nombreux, c’est vrai, la Parole de Dieu germe et fructifie et le Règne de Dieu advient ô combien discrètement !…
Autre façon de nous familiariser avec le Règne de Dieu : le jardin potager. Ce qui est quand même plus dans nos habitudes et nos pratiques, même pour des gens de la ville qui, souvent, disposent d’un petit bout de terrain ou de quelque jardinière sur leur balcon : on cultive avec affection quelques épices ou herbes aromatiques, les plus entreprenants ont plaisir à suivre les progrès de quelques laitues, de plants de haricots verts, voire, qui sait ? de pieds de tomates. Les plantes potagères, ce sont des plantes utiles – ce que l’on voudrait bien être -, utiles et humbles, sans prétention – comme on souhaiterait le devenir.
Notre chère Marie Noël, en son esprit espiègle, acceptait [Notes intimes, 209] sans trop de mauvaise grâce d’être « herbe à tisane, serpolet ou mauve, ou sauge pourvu que ce fût dans un de ces hauts battus des vents où ne vont les cueillir que les bergers », mais elle aurait préféré « être bruyère, gentiane bleue, ajonc, chardon au besoin, sur une lande abandonnée » ; or elle aura été toute sa vie «légume à faire la soupe », et nullement une de ces plantes sauvages, presque libertaires dans leur audace parfumée et discrète. Et donc, loin de ce rêve végétal, une plante utile, c’est là prudente noblesse qui est aussi la nôtre et pourquoi nous sommes indispensables.
Et puis, nous dit Jésus, dans tout ce concert jardinier, il y en a une qui relève la tête. Pourtant pas grand-chose, presque rien au point de départ, ce grain de sénevé : la plus petite semence, mais, au final, qui se défend si bien que les oiseaux du ciel peuvent venir y faire leur nid en toute sécurité. Pourtant, ces oiseaux, ce sont bien eux qui avaient picoré le grain tombé en bordure du champ, ce sont bien ces nations païennes qui ont dévoré tout cru les semailles de la Parole… Évidemment, Seigneur, vous exagérez un tout petit peu : à vous entendre, votre sénevé a des allures de cèdre du Liban, voilà un arbuste qui a réussi à tout le moins. Mais, si je vous comprends bien, ça pourrait nous aider à rester patients, à devoir penser, imaginer que, finalement, quand même, les nations de la terre finiraient par trouver place dans les longues branches que votre Église déploie dans le jardin de la terre des hommes. Mais il y faudra du temps, et c’est peut-être cela que vous nous faites saisir, Seigneur, que nous n’avons d’autre tâche à faire ni d’autre disposition à cultiver que d’espérer contre toute espérance !
Rueil-Malmaison, 17 juin 2018
11ème dimanche du temps ordinaire (année B)
St-Pierre – St-Paul et Oblates de l’Eucharistie