Enjeux et perspectives de la mission de l’Aumônerie catholique des Prisons à Madagascar
par Père Jean Berlin Mahaligny
C’est une grande joie pour moi de partager brièvement en toute fraternité ma thématique de recherche sur le rôle de l’Église en milieu carcéral à Madagascar. En effet, je voudrais évoquer quelques points que j’ai constatés durant mon expérience d’aumônier de prison (2008-2011) au sud de Madagascar, diocèse de Fort-Dauphin en considérant les problèmes socio-culturel, juridique et pastoral.
1- Au point de vue socio-culturel, perdure encore la pratique littérale des cultures traditionnelles. Par exemple dans le clan « Bara », situé dans le sud-ouest de Madagascar, « le vol des zébus » est un rite de passage obligatoire pour les hommes avant de se marier ; or selon la loi moderne, le vol est un délit. Ignorant la loi, les hommes sont donc soumis à une législation qui les incarcère.
2- Au point de vue juridique, le problème est la lenteur et l’arbitraire du pouvoir judiciaire, la corruption, l’absence de défense du prévenu, l’impunité. Ce sont toujours les pauvres qui sont en prison pour diverses raisons.
3- Quant au problème pastoral, lors de mon enquête de terrain en février 2018 à Madagascar, j’ai dialogué avec quelques agents pénitentiaires au sujet des détenus récidivistes, notamment dans la capitale (Antananarivo). Pour ces agents, la question du récidivisme est complexe pour les diverses raisons suivantes : – Certains disent que malgré les mauvais traitements en prison, ils préfèrent y rester car il n’y a pas de factures d’électricité ni d’eau à payer, ni de charges sociales et familiales. – D’autres ont déjà leur calendrier précis pour revenir périodiquement à la prison : à partir des mois de septembre, octobre et novembre, ils commettent quelques délits prémédités : cambriolage, braquage, vol de sac de riz, de matériel de cuisine… car traditionnellement, ils savent que chaque année revient la « grâce présidentielle ». Ils estiment donc qu’ils sont toujours privilégiés car à la fois ils ont gagné leur vie en commettant ces actes, et en même temps ils ne restent pas longtemps en prison. – Enfin, le mépris social est l’une des causes de nombreuses récidives, car il vaut mieux que les détenus reviennent fréquemment en prison, plutôt que d’être exclus par leur propre famille et la société. De ce fait, certains d’entre eux préfèrent retourner en prison, plutôt que de rester à l’extérieur sans rien faire. Les détenus déjà libérés sont donc contraints d’enfreindre la loi pour survivre, voire même pour revenir facilement en prison. Cette difficulté les oblige à voler de nouveau ou même à commettre des actes de banditisme pour survivre. Le vol devient alors un métier.
Surgissent alors des questions essentielles : quels sont vraiment les impacts de la foi chrétienne dans les prisons malgaches ? En effet, trois dimensions, « utilitaire, cognitive et situationnelle », questionnent plus précisément la pratique religieuse, d’après Rachel Sarg. Autrement dit, « la prison est-elle vraiment un lieu qui suscite des conversions religieuses ou un retour à la foi ? » Et si oui, quelles sont les raisons qui poussent les personnes à recourir à cette ressource ? D’autre part, ne serait-il pas important, à notre époque, de concevoir un système pénal à la hauteur de nos moyens, adapté à notre culture, conforme à la dignité humaine ? Que dit alors l’Église catholique qui a pris à cœur depuis longtemps l’aggravation des conditions des détenus à Madagascar ? L’Église étant signe du Salut, témoin de l’Amour de Dieu, quel genre d’apostolat peut-elle exercer pour faire face à la réalité carcérale malgache qui est à la fois sous l’emprise du poids du paganisme dans certains endroits comme dans le sud de Madagascar où, en outre, la dignité des détenus n’est pas respectée, et en même temps dans le mépris du caractère humain des détenus ? Toutes ces questions permettront de comprendre les enjeux socio-anthropologiques et théologiques concernant les situations carcérales malgaches. Tels sont quelques points qui animent ma réflexion et auxquels je voudrais essayer de répondre au fil de ma recherche.