Le Beau Pasteur – Jean 10,11-18
par le Père François Marxer
Le Bon Pasteur. Ou plutôt, plus exactement, le Beau Pasteur (1). Car il est question de beauté bien plus que de bienveillance. Beauté, oui certes, non par souci esthétique, mais par ambition de plénitude. Or, de cette image pastorale, on a fait l’emblème mobilisateur d’une politique des vocations à la prêtrise, désignées ordinairement comme vocations sacerdotales.
Soit. Mais, plutôt que de jouer au sergent recruteur, je voudrais regarder de près les mots de Jésus, qui, tous, concourent à creuser l’énigme par laquelle il répond pied à pied aux critiques acerbes des Pharisiens. En effet, il vient de guérir un aveugle de naissance, et cela le jour du shabbat. Quelle audace, quelle insolence de prendre ainsi ses libertés avec le règlement qui est pourtant bien connu : on ne doit pas guérir ni se préoccuper de faire quoi que ce soit, ni de salutaire ni de profitable pour celui qui peine dans la vie et se débat avec les obstacles et les contradictions. Le rè-gle-ment, point barre. Qu’il s’appelle la Torah ou shariâh, c’est tout pareil !
Et Jésus va faire mieux que de se justifier, il va mettre Dieu de son côté, ce Dieu dont se réclamaient ses adversaires, eux qui prétendent défendre les intérêts de ce Dieu-là, comme si lui-même n’était pas assez grand pour se débrouiller tout seul !
Pour s’expliquer, Jésus se présente comme le beau Pasteur, lequel agit en parfaite connivence (pour ne pas dire complicité) avec Celui qui, énigmatiquement, se présente comme le Portier(2). Le Portier qui est vigilant à la porte et qui laisse sortir les brebis pour qu’elles aillent et viennent le plus librement du monde et trouvent agréable nourriture et verts pâturages. Mais pour leur éviter les mésaventures de la dispersion et les risques de s’égarer et de se perdre, le Pasteur, le beau Pasteur, va les conduire jusqu’aux « prés d’herbe fraîche » et les « eaux tranquilles » où pouvoir se désaltérer. Et s’il est à passer quelque « ravin de mort », les brebis dont je suis ne craignent rien, car le Pasteur, le beau Pasteur, est là, et sa houlette qui me rassure…
Ne nous leurrons pas, ne nous aveuglons pas – car alors nous serions très correctement des Pharisiens pur sucre, seulement soucieux d’être à la mode, dans l’air du temps, fétus de paille emportés par le vent, dira saint Paul. En tout cela, il est question d’autorité, et d’autorité légitime, car le beau Pasteur entre par la porte, en accord avec le Portier – on a reconnu bien sûr le Dieu d’Israël – il a souci des brebis, pas comme le préposé administratif, car le préposé a souci du bon fonctionnement de l’administration. Reprenons ici l’image du Pape François : le Pasteur n’est pas un douanier (même si, je le reconnais, la présence de douaniers aux frontières est d’une évidente urgence dans la mesure où elle fait preuve de loyauté et d’intelligence…). Mais voilà, justement, l’autorité du Christ Pasteur connaît-elle quelque frontière que ce soit ?
Autorité donc, et par conséquent pouvoir. Alors là, mon esprit, moderne et démocratique comme il se doit, se rebiffe car le pouvoir a mauvaise presse. Les esprits (soi-disant) libérés, crient de suite à la répression, à la verticalité – voyez Notre-Dame des Landes – prêts à donner un coup de main aux zadistes de tous poils, pour promouvoir l’aventure libertaire, forme minimale du crypto-totalitaire.
Oui, de pouvoir il est question. Mais il est bien singulier, le pouvoir du beau Pasteur. En démocrature ou en tyrannie, le dictateur qui tient implacablement le pouvoir n’a souci ni de ses sujets (assujettis comme il se doit puisqu’on ne parle plus de leur subjectivité une bonne fois pour toutes !), ni même de leur obéissance. Ce qui lui plaît, c’est leur docilité qui sera comme le miroir de sa propre importance. Il fonctionne mentalement comme la Reine de Blanche-Neige à l’affut de l’opinion de son miroir : « Dis-moi, miroir, qui donc est la plus belle ? »… Le dictateur dépend de son miroir, c’est l’allégeance de ceux qui lui sont soumis qui lui fait contempler sa propre puissance, la satisfaction de sa supposée perfection dans l’admiration des courtisans qui l’entourent.
Alors, qu’en est-il de ce pouvoir du beau Pasteur ? « J’ai le pouvoir » : Jésus le dit bien, mais pas le pouvoir de se mirer narcissiquement dans l’obéissance qu’on lui voue, et d’admirer ainsi sa propre puissance de potentat ou de khalife… Pas plus qu’un tel pouvoir tyrannique qui imposerait son arbitraire et ferait plier les nuques rebelles et récalcitrantes serait la manière de faire et de gouverner de ce Dieu qui est le nôtre et que, il est vrai, nous confessons comme « Tout-Puissant » – encore qu’il serait infiniment meilleur de dire, pour éviter l’ambiguïté, « souverain ».
Et la souveraineté de Dieu qu’il partage avec son Fils, le beau Pasteur, c’est la spontanéité d’une liberté qui se préoccupe sans cesse de ce qu’il faut faire et qui n’est pas d’avance programmé. Qui ne se préoccupe pas avant tout du règlement, mais de ce qu’il sera bon de faire pour ce malheureux-là et le sortir de sa mélasse où il s’englue…
Pour Jésus, il ne s’agit pas d’être obéissant – au sens où nous l’entendrions d’une docilité infantile à un Dieu sournois, pervers et implacable… Non pas obéissant donc, mais désirant – désirer trouver spontanément, comme allant de soi, ce qui s’ajuste à la liberté de Dieu. Ce désir, cette spontanéité, cette évidence qui s’accorde à la liberté pleinement souveraine du Père, c’est cela qu’on appelle l’amour.
Notes du copiste :
(1) : saint Jean écrit en effet ὁ ποιμὴν ὁ καλός (« ho poill(e)mène ho caloss ») et καλός = « beau »
(2) : lire le début de ce chapitre 10 de saint Jean.
Rueil-Malmaison
Sainte-Thérèse, 21 avril ; St-Pierre – St-Paul, 22 avril 2018
4ème dimanche de Pâques (année B)