Le week-end en photos…
par Claude MESSAZ
La bénédiction de l’orgue – soirée du 12 janvier
par Blandine CHANCERELLE
Etrange soirée que celle du vendredi 12 pour ceux qui étaient dans l’Eglise Saint Pierre-Saint Paul. L’un de ces moments où notre histoire croise l’Histoire. Dans les pas de Richelieu qui a construit cet édifice, à côté des tombeaux de Joséphine de Beauharnais et de la Reine Hortense, sous le buffet acheté à Florence et installé par Napoléon III, nous étions rassemblés pour un événement rare qui n’arrive qu’à peine une fois dans une vie : la bénédiction d’un orgue. Et pas n’importe quel orgue : un Cavaillé-Coll qui d’après les spécialistes est l’un des cinq-six meilleurs instruments de la région parisienne.
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Pas une place vide dans les bancs comme aux plus grandes messes de l’année, Noël ou Pâques. C’est vrai que nous fêtions une naissance ou plutôt une résurrection. Les autorités du clergé (Monseigneur Yvon Aybram, le Père Antoine Vairon et huit autres prêtres et diacres) et civiles (Monsieur le maire, Patrick Ollier et des membres de son conseil municipal) étaient là, ayant à cœur de remercier les donateurs institutionnels et particuliers, les uns et les autres se réjouissant pour la ville et pour le culte catholique de cette restauration.
Après ces courtoises amabilités, vers un chœur décoré d’élégants bouquets blancs et rouges, réhaussés par la lueur de nombreux lumignons, la procession des religieux s’est avancée. La célébration a commencé, animée par le chantre Hervé Lamy. Après les lectures et l’homélie, Mgr Aybram, debout devant l’autel a commencé un dialogue singulier. L’homme apostrophant l’instrument : Huit injonctions… huit réponses sous forme d’improvisation de l’organiste de l’église Philippe Decourt et du concertiste Paul Goussot.
La première exhortation, forte et touchante :
« Eveille-toi, ô orgue, instrument sacré, chante la louange de la gloire de Dieu. »
Chacun a retenu son souffle. La nef s’est emplie des premiers sons : graves, puissants, vibrants résonnants au fond de nous, comme le grondement sourd de la terre qui s’éveille. Pas de mélodie, seulement des accords, nous découvrant la variété des jeux depuis trop longtemps demeurés silencieux. De ce début mat, les notes ont monté plus claires, plus aiguës évoquant peut-être la croissance d’une plante. Les tonalités se sont diversifiées en un bruissement de vies nouvelles pour finir en un grandiose bouquet sonore comme un arbre majestueux offrant sa ramure à de nombreux animaux.
Mgr Aybram a continué : « Ô orgue, instrument sacré… » et l’organiste a alors évoqué Jésus par une balade paisible, l’Esprit Saint par le papillonnement de notes légères puis Marie et son cœur battant par une variété de deux notes alternantes.
« ô orgue instrument sacré » … l’assemblée des fidèles est entrée en une cavalcade de mélodies ; le réconfort de la foi a été apporté à ceux qui sont dans la peine exprimée par des jeux nasillards, éraillés mais consolée par des sons chauds et étincelants ; la prière des chrétiens a été soutenue par une surabondance d’airs ; enfin, la Gloire du Père, du Fils et du Saint Esprit a été proclamée par des trilles métalliques, à la puissance cristalline et à la noblesse grave.
L’orgue ainsi réveillé, le public a pu entendre un concert de pièces classiques. Cette soirée s’est achevée tard, chacun est revenu chez soi creusé par la musique et empli des mille voix des tuyaux restaurés.
Thierry Escaich : l’ardeur et la douceur – concert du 13 janvier
par le Père François MARXER
Dans le Concert qui suivait la Bénédiction – et déjà au cours de celle-ci –, il fallait que l’instrument brillât de tous ses feux et de tous ses fastes : nous étions prêts à être éblouis et nous l’avons été.
Sous les doigts de Thierry Escaich, ce fut autre chose. L’orgue nous livrait son âme, laquelle parlait à la nôtre : plus d’éclats prodigieux, plus de vertigineuse démonstration de puissance, mais la révélation de l’intime de celui qui, la veille, avait été consacré à (faire) chanter ad majorem Dei gloriam (pour une plus grande gloire de Dieu), le c(h)œur des humains, implorant ou méditant, exultant ou triomphant.
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Majesté et solennité à l’évidence inaugurale : le Te Deum de Charles Tournemire, tout acquis à célébrer son Créateur et Sauveur, encore et maintenant toujours à l’œuvre ; au passage, saluons la prouesse de Maurice Duruflé (auquel Thierry Escaich a succédé à la tribune de Saint-Étienne-du-Mont) qui aura transcrit cette improvisation enregistrée en mars 1931 par Tournemire lui-même sur son Cavaillé-Coll de Sainte-Clotilde.
Ensuite l’intelligence de Thierry Escaich ne pouvait que nous convaincre à ne pas céder à la tentation du spectaculaire, pour tirer le meilleur d’un instrument aux proportions modestes (il ne s’agissait pas de rivaliser avec ses « grands frères » de Notre-Dame de Paris, de la Madeleine ou de Saint-Sulpice !) et en faire chanter tout le raffinement de la palette sonore (l’art de l’organiste n’es-il pas dans le choix avisé et délicat de sa registration ?). Cela dans une compréhension parfaite du volume et de l’espace sonore de l’église, auquel l’instrument est admirablement proportionné et adapté (là, c’est le génie du facteur et de l’organier qui s’impose à l’oreille).
Plutôt que de balayer un panorama supposé exhaustif (qui irait de Titelouze à Messiaen, par exemple), Escaich aura choisi des pièces peu ou prou contemporaines de la création de l’instrument, lequel ainsi n’était pas forcé à l’exploit où il s’essoufflerait, mais donnait le meilleur de sa clarté.
Inattendue, l’incursion dans les pages (germaniques pourtant !) de Félix Mendelssohn – nous avions en mémoire l’interprétation de Marie-Claire Alain sur les orgues Andersen de Ringstedt au Danemark, une tout autre esthétique ! Redécouverte heureuse avec Escaich qui médite le génie de ces Sonates, alliant styles baroque et classique au romantisme naissant. (Au passage reconnaissons le talent pédagogique de l’interprète présentant ces œuvres pour nous en faire pénétrer l’intelligence et goûter le plein déploiement.)
Avec Louis Vierne, tout en délicatesse et presque en fantaisie dans ces deux Pièces en style libre, nous retrouvions la France musicale qui imposait ensuite la souveraineté définitive du Deuxième Choral de César Franck, explorant le fond de l’âme humaine dans ses affres mais aussi ses grandeurs (vous avouerais-je que les larmes me sont venues à l’écoute des premières mesures de ce Choral ?)
Mais on attendait le Thierry Escaich improvisateur, car c’est cet exercice qui atteste de l’excellence de l’organiste, dont déjà nous venions déjà d’admirer la ductilité virtuose et l’aisance à magnifier les saveurs sonores de notre Cavaillé-Coll. Thierry Escaich est reconnu comme un des compositeurs majeurs de notre temps ( écoutez son oratorio Le Dernier Évangile, et vous ne pourrez pas ne pas être dévasté d’émotion et et d’admiration, à l’issue de votre écoute). Trois thèmes lui avaient été proposés : la Barcarolle des Contes d’Hoffmann d’Offenbach sollicitait notre mémoire heureuse pour nous bercer dans un enchantement de rêve et de douceur. Et puis aussi l’antienne grégorienne Tu es Petrus (que j’avais suggérée en l’honneur du saint patron de notre église et paroisse) et que Escaich, à ma grande surprise, associa à la Marche des Rois, ce bonheur populaire tiré de l’Arlésienne de Georges Bizet… L’improvisation avançait et se construisait : et nous saisissions la puissance créatrice du musicien élaborant, avec une parfait maîtrise de la forme, une architecture à la fois savante et chatoyante. De quoi redonner joie d’exister aux âmes accablées à broyer un noir et lancinant désespoir. Dans cette soirée qui aura donc été un moment spirituel d’exception, Thierry Escaich n’aura rien sacrifié, ni de l’ardeur de vivre ni de la douceur d’espérer. Qu’il en soit remercié.