Chaque semaine, méditez la Parole de Dieu à partir des homélie de Père François Marxer.
Dimanche 14 janvier 2018 – 2ème dimanche du temps ordinaire (année B)
Les premiers disciples – Jean 1,35-42
par Père François Marxer
Jésus a posé son regard sur moi et il m’a dit : « Tu es Simon, fils de Jean ; tu t’appelleras Képhas » – ce qui veut dire : Pierre. L’émotion m’a submergé d’un coup : c’était la première fois que quelqu’un me donnait mon nom véritable. Le nom que j’attendais et que je ne connaissais pas encore, et qui me correspondrait vraiment. Tout le monde me connaissait comme Simon, Shimeon, ce qui veut dire : Dieu écoute, Dieu est à l’écoute, à mon écoute. Ce nom, je le portais comme un vœu, comme une évidence qui m’accompagnait à chaque instant, quoi que je dise, quoi que je fasse, et j’attendais d’en avoir confirmation. Eh bien ! la voilà, cette confirmation : Dieu m’a écouté et il me donne mon nom véritable : Képhas – Pierre.
Pierre : vous qui avez entendu Matthieu, mon compagnon, vous vous dites : Pierre, oui, bien sûr, la pierre bien taillée, sur laquelle on peut fonder et construire la maison en pleine confiance. Cela est vrai, encore que le psaume dise bien que c’est la pierre qui a été rejetée par les bâtisseurs que Dieu aura choisie comme pierre d’angle ou comme clef de voûte. Mais la pierre, c’est aussi ce qu’on tient bien en main et qu’on peut lancer avec puissance, avec énergie et qui, l’adresse ne te faisant pas défaut, atteindra sa cible. Et ça, c’est tout à fait mon tempérament, vous le verrez bientôt : quand tous vont commencer à se débiner, à clocher d’un pied sur l’autre, un peu gênés, moi, je vais reprendre mes compagnons, les Douze, et répondre à leur place – il ne s’agissait pas de discuter, l’heure était trop grave : « Seigneur, que j’ai dit, à qui irions-nous ? Tu as les paroles de la vie éternelle et nous savons et nous croyons que tu es le Saint de Dieu ! » Ça m’est venu d’un coup, comme ça, et les autres ont suivi. Un peu plus tard, au Jardin, sous la pleine lune, j’ai commencé par faire des moulinets avec le coutelas que j’avais pris avec moi, par prudence. C’était pas malin et j’en suis pas fier : bêtement, j’ai coupé l’oreille à un de ceux qui s’approchaient de nous. Enfin, juste avant, quand Jésus avait annoncé le malheur qui allait venir, je lui ai dit tout de suite que je ne le lâcherais pas. Il m’a répondu avec douceur que ça, ce n’était pas sûr du tout. Et il avait raison, j’ai eu peur, tous ces gens qui m’avaient repéré, alors j’ai juré mes grands dieux qu’il n’y a pas de messie qui tienne, et que de toute façon, je n’étais pas au courant. Jésus est passé tout près, il m’a regardé, et alors j’ai pleuré comme un gamin…
Voilà Képhas, la pierre – c’est pas brillant, vous direz-vous. Je suis comme ça, tout d’une pièce, incapable de feintise. D’ailleurs, quand, bien après, nous l’avons revu sur la rive du lac et qu’il nous a demandé de loin : « Alors, les gars, ça mord ? » – ça tombait mal, on revenait, épuisés, et bredouilles de toute cette nuit de travail, quand mon compagnon, celui que Jésus aimait bien, a dit : « Mais… c’est le Seigneur ! », alors, j’ai pas hésité, et j’ai plongé, vif, impétueux, comme toujours. Ça n’a pas étonné Jésus, c’est ma nature, et c’est peut-être bien ça qu’il attend de moi au fond : me donner comme je suis, sans arguties, sans fanfreluches…
C’est mon frère, André, qui m’a amené à Jésus. André, Άνδρέας, c’est l’homme, et c’est vrai que c’est un homme : calme, posé, efficace, mais il cherche. Oui, il cherche, et c’est pour ça qu’il va de temps en temps entendre le Baptiste près du fleuve. Hier, il est revenu, la nuit venait déjà, il est revenu, les yeux brillants comme des soleils, il scintillait de joie comme un découvreur de trésor. « Euréka, qu’il nous a dit, j’ai trouvé ! On était content pour lui, mais quoi, qu’est-ce que t’as trouvé ? Un nouveau job ? la p’tite femme de ta vie ? – Oh, non, non, non, qu’il nous a répondu. Alors quoi ? qu’est-ce que tu cherchais d’abord ? Il a pris un ton enjoué et solennel, comme les enfants savent faire quelquefois – oui, il était redevenu comme un enfant, lui, l’Homme qui était plus qu’une grande Personne : «Nous avons trouvé le Messie ! »
Waouh ! ça nous en a bouché un coin, ça fait des décennies, et même des siècles qu’on essaie de le dénicher, ce Messie de Dieu ! Alors quoi, ça voulait dire que la grande Espérance, c’était pas de la frime, que ça valait la peine d’espérer !…
Il avait dit : « Nous avons trouvé le Messie », parce qu’il n’était pas tout seul. Et il nous a raconté.
Il était avec celui-là dont je viens de vous parler, qui reconnaîtra Jésus après cette mauvaise nuit sans sommeil. À l’évidence, il sera le préféré de Jésus, mais on n’était pas jaloux, chacun n’est-il pas au fond le préféré, parce qu’il est, lui, inimitable ? D’ailleurs, ce disciple reste infiniment discret, il ne va pas tirer gloire de ce que d’aucuns diraient être son privilège, et il ne dit jamais son nom. À rester ainsi incognito, chacun pouvait presque croire que c’était un peu lui aussi, ce disciple-là. Ce qui n’est pas entièrement faux…
En tout cas, ça faisait un beau tandem : André, l’homme, dans sa force et son endurance, et lui, l’incognito, tout acquis à la cause de l’amour. Et moi, Pierre, l’impulsif et le généreux, je suis un peu des deux, à ma manière. Et tous les uns et les autres, Philippe le spontané, Nathanaël l’intello, on est comme ça, un peu des deux…, la force et la vigueur, l’amour et la douceur mélangés. Ils étaient donc tous les deux, et ils ont entendu le Maître qui disait en désignant quelqu’un qui se promenait par là : « Voici l’Agneau de Dieu ». Ça, c’était étonnant et même déconcertant, Dieu, un agneau, doux comme un agneau. D’habitude, en cas d’arrivée de Dieu, c’était le branle-bas de combat, ça orageait, ça fulminait de partout, ça secouait les montagnes qui fondaient comme des cierges à la synagogue. On n’en menait pas large. Là, c’était tout le contraire : un agneau. On a voulu en avoir le cœur net et on a emboîté le pas à cet inconnu.
Vraiment, Jésus, tu es épatant, oui, on est vraiment épaté. C’est bien toi qui as donné la vie à tous les vivants et qui éclaires de douce lumière tous les esprits qui aiment la clarté du vrai. Tu es le Verbe, tu es le Logos du Père, et tu viens dans notre monde, oh ! sans fracas, sans esbrouffe, et tu te promènes de ci de là, dans nos existences, à les croiser, sans nous déranger, comme tu déambulais sur la plage au bord du fleuve, une primevère à la bouche. Tu es tellement discret que la plupart des hommes ne te remarquent même pas – ils sont tellement occupés, ça te fait sourire, mais tu les comprends – et même nous, nous avons tellement peur de t’importuner – du moins c’est ce que nous disons, mais tu nous pardonnes cette petite tricherie de gens qui se disent bien élevés.
Tous les deux, nous suivions la route du temps, la route de nos vies brèves et lourdement longues à la fois, et toi, Jésus, tu t’es retourné. Je n’en reviens pas : c’est toi, le premier, qui te retournes, qui te convertis littéralement, comme bien plus tard ce sera Marie-Madeleine, toute larmoyante au bord du vide sépulcral, qui se retournera, qui se convertira pour enfin te voir !- oui, toi qui te retournes, qui te convertis, pour nous voir, nous qui avançons et cherchons avec endurance – pour nous voir, non, mieux : pour nous admirer, nous qui marchons, opiniâtres, au long de nos années de vie.
Et tu nous demandes : « Que cherchez-vous ? » « Que », et pas « qui cherchez-vous ? » (« qui », ce serait plus tard, quand il s’adressera aux argousins qui viennent l’appréhender au Jardin, ce sera aussi pour Marie la pleurante dans l’autre jardin, celui de Pâques). Que cherchez-vous ? Le ton était amical, pas magistériel. – N’empêche, on a bredouillé : « Rabbi – c’était un titre qui nous donnait de la gravité, à notre démarche ! – où demeures-tu ? » Où donc on peut être sûr de te trouver, pour converser avec toi, tailler une petite bavette – on comprendra un peu plus tard que c’est au fond la prière, être bien avec lui, et puis échanger quelques mots d’amitié et d’émerveillement !……
…… Il ne nous a pas fait de topo, ni de leçon de caté, il n’a pas dressé de procès verbal. Il a dit : « Venez et voyez. » Votre expérience à vous, avant toute chose, car c’est irremplaçable. Et on a vu, on est resté deux-trois heures avec lui – plus tard notre ami l’évangéliste nous confiera que sa demeure, c’est l’intimité de Dieu, c’est le sein du Père – eh bien ! on y était, le crépuscule qui tombait était un crépuscule de lumière, comme un petit matin tout neuf, et avec cette soirée-là, on a su qu’on avait commencé à vivre la vie éternelle, et que ce n’était pas près de finir !
Dimanche 14 janvier 2018 – 2ème dimanche du temps ordinaire (année B)
Rueil-Malmaison Eglise Saint-Pierre Saint-Paul