par le Père François Marxer
Depuis dimanche dernier, entre temps si je suis le récit de Saint Matthieu, Jean-Baptiste incarcéré à Machéronte par Hérode, le tyranneau local, Jean-Baptiste s’abîme dans la perplexité : qui est-il donc finalement ce Jésus dont j’entends ce qu’en dit la rumeur jusque dans ma prison ? Est-il celui qui doit venir, le Messie de Dieu, ou devons-nous en attendre un autre ? A cette question telle que l’ont transmise les émissaires de Jean, Jésus répond simplement en évoquant les fruits, les résultats de sa parole et de son autorité agissante : « Les aveugles voient, les sourds entendent (la Parole Divine), les boiteux gambadent, les morts sont remis debout, et l’heureuse Nouvelle est proclamée aux pauvres. » Et donc, à toi de comprendre et d’en tirer les conclusions. Décidément, Jésus, tu es déconcertant et tu ne facilites guère les choses.
D’ailleurs, les villes du bord du lac, des villes prospères sinon même opulentes, Bethsaïde, Corazin, Capharnaüm surtout, qui n’ont guère souci d’une quelconque pénurie, n’ont pas voulu entendre parler de ce Jésus ! Elles ne l’ont pas reçu, on t’écoutera là-dessus un autre jour, quand on aura le temps ! Pourtant, l’enjeu est gros, des gens qui sont dans les affaires devraient y faire un peu attention. Dimanche dernier, c’était très clair, en cascade : « Qui vous accueille, m’accueille et qui m’accueille, accueille celui qui m’a envoyé », Dieu lui-même en personne, pas moins !
Mais non ! La menace est là pourtant, mais ces villes s’obstinent : leur opulence leur fait croire que la bénédiction du Bon Dieu est de leur côté, suivant en cela les clichés convenus qui se répandent dans le catéchisme gros grain qui avantage si fort les sages et favorise les malins et les habiles ! …
Les malins et les habiles, eh ! Ils ne doivent pas se faire illusion. Oh certes ! Ils sont savants ou alors ils ont les lettrés de leur côté, ceux qui scrutent lettre à lettre, mot à mot, phrase à phrase, le texte de nos Ecritures Saintes. Ils le commentent, ce texte, et puis ensuite, ils commentent le commentaire, pendant que d’autres vont démentir le commentaire et ensuite commenter le démenti …Et ainsi de suite, comment s’y retrouver ? C’est sans fin, presque un jeu, mais ça nous facilite si bien les choses pour contourner la Loi sans lui désobéir, cette Loi qui est un peu trop raide et si peu commode dans le domaine des affaires. Alors petits arrangements entre amis …
Eh bien, tous ceux-là qui se croient malins, ils seront déclassés, dit Jésus. Et ceux qui seront en mesure d’accueillir Dieu lui-même et son Envoyé, ce sont les tout-petits. Saint Paul dans la Première aux Corinthiens va les désigner d’une expression haute en couleur, savoureuse et qui fleure bon sa philosophie : les mè-onta, littéralement les non-étants, comprenons les gens qui ne sont rien, les pas-grand-chose, les gens de peu, les gens de rien, sans aveu. Ceux-là qui ont été dépossédés de la propriété, de la maîtrise de leur vie, de leur vie propre, coincés qu’ils sont, d’une part par la voracité fiscale de la puissance publique – et ça, ce n’est pas neuf ! – mais d’autre part par la farandole infernale des commandements, quelque 690 au total, dans la Loi, obligations et interdits, avec lesquels on n’a pas moyen de s’arranger, nous, de trouver quelque niche où pouvoir prospérer tranquillement, sans problème de conscience.
Ah ! ce fardeau de la Loi, aggravé comme à plaisir par les juristes jamais en manque de raffinement, ça leur pèse, ça les étouffe, ces petits ! A qui donc pourront-ils remettre la gouvernance de leur existence si précaire, sans cesse menacée ? A qui pourront-ils se remettre ? A ceux-là, ceux qui vont devenir ses disciples, Jésus dit : Venez, je vais vous débarrasser de ce fardeau intenable. Oh rassurez-vous, nous n’allons pas faire la révolution, ce ne sera pas la révolte à la manière de Spartacus, pour aller ensuite jouer aux anarchistes ou aux libertariens. Mon joug est facile et mon fardeau léger. Car il y en a un. Ce joug d’ailleurs, le mieux c’est que vous soyez à deux pour le porter, deux à le porter ensemble, ce jugum. Ensemble, cum-jugum, et vous expérimentez alors ce qu’est l’existence con-jugale.
Mon fardeau, c’est la Loi de la Sagesse et, avec elle, vous trouverez le repos. Comprenez bien, je n’ai pas dit le farniente, car mon Père se repose, vous le savez bien, depuis le 7ème jour et pourtant il travaille, il est à l’ouvrage, sans cesse dans sa création, car sa création est un jeu d’invention et de fantaisie, de la splendeur des astres au multicolore des papillons et au concert des oiseaux qui saluent l’avènement du soleil au matin. Et cet ouvrage-là n’a rien d’une besogne, ça ne le fatigue pas, ça ne l’épuise pas …
Pour vous, ça devrait être pareil ; de vous mettre à l’ouvrage, vous devriez trouver le repos, c’est-à-dire, trouver à vous poser-une-seconde-fois : en effet par notre naissance, vous avez été posés dans l’être, dans le monde des vivants, mais il faut pouvoir trouver son assiette, sa juste assise, et pour cela, vous poser, être posé à nouveau en Dieu, pour de bon, en votre Créateur. Et la Loi de la Sagesse est faite pour ça, pour que vous puissiez vous ajuster avec aisance. Et ainsi, après votre première naissance, ce sera une nouvelle naissance, vous allez re-naître.
Et ainsi re-posés, vous allez découvrir, vous allez entrer dans le secret même du Père. Oui, je vais vous le faire découvrir ; les sages qui n’entendent rien à la sagesse, les fins connaisseurs – soi-disant – les initiés – parlons-en – si malins, eh bien, ils n’en savent rien : pour eux, Dieu a le pouvoir et il faut se tenir à carreau, le Seigneur est Roi – un despote peut-être ? – et on n’en mène pas large !
Et de leur côté, les pouvoirs en tirent tous les avantages : ça met tous les sujets dans les bonnes dispositions, propices à l’obéissance et à la docilité. Voilà qui facilite la gouvernance. La Sagesse, elle, dit au contraire : « N’ayez pas peur » – pas peur de disparaître. Le pouvoir finit par s’effondrer, il perd sa force de coercition quand il cesse de faire peur : tous les totalitarismes ont fini par le savoir. Votre Dieu n’est quand même pas un satrape ou un potentat : il est Père, mais un Père qui a des manières toutes maternelles, de patience, de miséricorde, de mansuétude. Un père en général dit les choses une fois pour toutes, une mère, elle, ne se lasse pas de répéter, de redire, afin que l’enfant qu’elle élève, qu’elle fait grandir, puisse petit à petit s’approprier ce qu’elle dit, ce qu’elle recommande et s’y mouvoir avec aisance.
Si bien que Julian de Norwich, mystique et visionnaire admirable du XIVe siècle, pourra dire ayant constaté que la Sainte trinité possède « trois propriétés : la paternité, la maternité, la Seigneurie, en un seul Dieu », que « ce beau nom de mère tout plein d’amour est si suave, si approprié à la nature qu’en vérité, on ne peut l’appliquer qu’à lui, vraie mère de la vie et de tout » (Livre des Révélations, ch. 58 et 60).
Père François Marxer
14ème dimanche – Saint Matthieu 11, 25-30
Rueil-Malmaison – Paroisse Notre-Dame de la Compassion – 9 juillet 2017