Un certain 18 juin, par le P. François Marxer
J’ai reçu l’ordination presbytérale des mains de Mgr Jean Bernard, évêque de Nancy et de Toul et du presbyterium alors présent dans la cathédrale de Nancy, le 18 juin 1972. Quarante-cinq ans déjà …, cela compte. 18 juin. Évidemment, même sans ympathie gaullienne, on m’évoque d’un ton entendu et unanime : « 18 juin, eh ! le jour de l’Appel… » Mais je me plais à rappeler, par goût de l’ironie peut-être, que c’est aussi le jour de Waterloo, en 1815.
Cependant, si d’un patronage historique il fallait se réclamer, c’est au 18 juin 1429 que je me référerais : la bataille de Patay, où Jeanne d’Arc défait les Anglais et rachète dans les mémoires le désastre d’Azincourt (en ces temps de Brexit, c’est un souvenir qu’il n’est pas désagréable de réactiver). Bien évidemment, Jeanne la Lorraine, objet de la ferveur et de la fierté familiale ; et puis,
une bataille et une victoire. Quarante-cinq ans après, puis-je l’attester ? La prêtrise est un affrontement et une victoire, incessamment et chèrement acquise. J’ai coutume de dire – cela vous étonnera peut-être – : je ne suis pas devenu prêtre pour être aimé, ni même pour être obéi, mais pour être écouté, et même entendu. À mes risques et périls. Et aussi aux vôtres.
Cela dit, je conserve par devers moi une suffisante provision d’anticléricalisme (lequel n’est peut-être bien que la tournure de l’insolence sinon de l’intelligence dans le clergé) pour m’accorder à ces remarques de notre chère Marie Noël qui me met en garde du danger de suffisance (dans mon cas, aggravé des prestiges (!) universitaires) :
“Éviter habituellement les gens d’Église. C’est un danger pour le jugement, la pensée ou même pour les simples opinions que de fréquenter trop des hommes « infaillibles ». Gardez-vous du levain de prêtre… Prêtre ? non ! pas ce mot-là qui est trop grand, trop saint, gardez-vous du levain de clerc.”
De même, n’ayant, pour ma part, jamais été curé, je puis sourire de ces solides vérités de Péguy, l’inchrétien magnifique :
“Ce qu’il y a d’embêtant, c’est qu’il faut se méfier des curés. Ils n’ont pas la foi, ou si peu. La foi, c’est chez les laïcs qu’elle se trouve encore. Ils sont d’ailleurs très forts, les bougres : comme ils ont l’administration des sacrements, ils laissent croire qu’il n’y a que les sacrements. Ils oublient de dire qu’il y a la prière et que la prière est au moins de moitié ! Les sacrements, la prière, ça fait deux. Ils tiennent les uns, mais nous disposons toujours de l’autre. Songe donc à ce que c’est qu’un signe de croix ! Se couvrir d’un signe de croix ! Quelle communion avec Jésus !”
Mais vous m’aurez trouvé insolent (à peu de frais) ou paradoxal (par coquetterie) ; c’est pourquoi je ne saurais oublier François Mauriac, même s’il est un peu convenu (c’est le style des années 1950), sa sincérité n’en est pas moins entière :
“Ces homme ordinaires pareils à tous les autres, appelés à devenir le Christ quand ils lèvent la main au-dessus du front du pécheur qui avoue sa faute et qui demande grâce, ou lorsqu’ils prennent du pain entre leurs mains « saintes et vénérables », ou lorsque, élevant le calice de l’alliance nouvelle, ils refont l’acte insondable du Seigneur lui-même. Oui, des hommes pareils à tous les autres, mais appelés plus que les autres à la sainteté, des condamnés à la sainteté forcée, voilà ce que sont les prêtres.”
Lui, ce grand laïc, contemplait donc de près le mystère qui nous habite. Et puis de donner comme référence l’abbé Huvelin (tiens ! un vicaire) qui aura eu à son actif deux convertis haut-de-gamme : le vicomte Charles de Foucauld et l’agnostique lexicographe, Émile Littré. Mais c’est à l’abbé Pierlot qu’à cette heure je voudrais penser : petit prêtre ensoutané, parkinsonien avéré et tremblotant, il accueillait inlassablement, inusablement, les pécheurs en la cathédrale de Nancy. Il est mort au matin de ce 18 juin 1972, après avoir dit à mon évêque qui était venu le visiter : « J’offre ma vie pour celui qui va être ordonné cet après-midi… » Quel héritage, et que je me sens petit !