Par le Père François Marxer
Signé d’un tout jeune auteur, Pierre Adrian, à la plume superbe – vraiment, cet écrivain a de l’avenir ! – et sous ce titre (allusion probable au conte bouleversant de Flaubert, Un cœur simple), il nous rapporte son séjour de quelques semaines d’homme jeune – bien de son temps, mais déjà vacciné contre les sirènes de la vie post-moderne et de ses mirages, et s’abandonnant parfois à une sagesse digne de l’Ecclésiaste – dans la vallée d’Aspe qui grimpe jusqu’au col du Somport, et au-delà jusqu’à la ville-frontière de Canfranc, fantôme de ville, fière de sa gare désaffectée désormais, sorte de Titanic échoué de la modernité bétonnée. Une vallée qui enfante les hommes dans la nuit – nuit des âmes, nuit des désespoirs – à la rencontre de Dieu (il faut lire ces pages qui racontent la nuit de la Nativité, naissance du Fils de Dieu, re-naissance aussi des homme sortis de l’ombre), vallée hantée par les pèlerins, randonneurs et autres camés et marginaux, et où survivent paysans et chevriers souvent voués au désespoir ou aux rêves un peu fous. Au milieu, allant de l’un à l’autre, selon les appels et les besoins, les douleurs et les désastres, Pierre, prémontré et Béarnais, avec ce mot d’ordre, garanti par Paul dans sa première lettre aux Corinthiens : la charité qui toujours écoute, reçoit, accueille, surtout ceux-là qui ne sont rien – et même moins que rien.
Tenez, écoutez ce vieux berger mangé, accablé de solitude :
Mais il est des fardeaux qu’on n’est plus capable de porter. Dans le drame, le monde d’en-bas, les journaux et leurs éditorialistes peuvent évoquer la crise qui nous frappe, le pouvoir d’achat qui recule. Ils chercheront la maladie en surface. […] Jamais ils ne répondront à notre dernière question.
À quoi bon ? Monsieur le curé, à quoi bon ?
Pierre écoute. Il n’est pas là pour convertir. Dieu ne contraint pas. On l’appelle, il écoute seulement. Mais croire est aussi ce bien qu’on partage. « Vous, à cause de votre foi. »Tout est là. Monsieur le curé, nous voilà loin des églises. De distance il n’y a plus. Ne parlez pas seulement dans la langue du missel. Les cours de catéchisme du dimanche après-midi n’ont rien donné, où les gamins regardaient l’heure tourner. Ânonnant leur prière à la diable pour aller courir dans les prés de fauche. Il faut tout reprendre. Nous sommes dépassés. Apprenez-nous à prier. Et puisque vous parlez d’amour, alors apprenez-nous à aimer. Loin des premiers rangs, de la piété convenue, des cancans de sacristie. Nous ne croirons pas çà à cette foi des volets fermés et du quolibet. Seulement, quand vous dites que Dieu est notre seule richesse, nous savons que vous ne mentez pas. Alors. Alors, apprenez-nous.
Pourquoi cette persévérance obstinée et si peu récompensée de quelque résultat ou réussite ? Parce que le frère Pierre est prêtre – et grâce à lui, vous saurez ce que c’est que d’être prêtre, et nous sommes tous comme lui, sauf parfois hélas ! à déchoir de cette grandeur : tous, nous sommes hantés par la rédemption, par le salut des autres, et notre credo, comme celui de Pierre, est on peut plus simple : « nul n’est à l’abri d’être sauvé ». À vous rappeler, vous autres, parfois si prompts au réquisitoire, alors que nous tous chacun « après tout, sommes des âmes simples et perdues. Des hères qui rôdaillent en fond de vallée, incapables à la hauteur. Faibles à l’espérance ». Vous, les fidèles, comme nous, les prêtres, et nous, les prêtres, comme vous, les fidèles. Mais nous, nous n’abdiquerons jamais et nous ne vous laisserons pas.
Des âmes simples de Pierre Adrian, paru aux Editions Equateurs Littérature en janvier 2017